Porno-dépendance, sexalcoolisme, « addiction » aux images érotiques ? Dans quelles mesures s’octroyer des récompenses à travers le plaisir sexuel virtuel est-il problématique, voire addictif ? De l’hypersexualité à l’hyperdépendance, tout dépend de l’impact sur la vie des personnes concernées.
« La dépendance au porno n’existe pas ! », c’est en substance ce que des chercheurs de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) ont révélé, il y a trois ans. Leur étude sur le sujet a été publiée dans la revue Biological Psychology. Pour eux, il n’est pas question d’addiction, ou pour être plus exact de dépendance, même si de 6 à 10 % des internautes disent souffrir d’une consommation excessive d’images et de vidéos à caractère sexuel. Pour en arriver à cette conclusion, ce sont 122 hommes et femmes qui ont répondu à des questions et visionné des vidéos spécifiques. Leurs réactions cérébrales ont été enregistrées au moyen d’un électroencéphalogramme. Conclusion ? Le « potentiel évoqué », soit l’intensité de la réponse émotionnelle du cerveau, ne correspondait pas à la réaction des personnes accoutumées aux drogues, au tabac, voire aux jeux d’argent. Bref, ce n’est pas à proprement parler une addiction.
Mais, soyons clairs, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de difficultés à gérer une consommation immodérée d’images pornographiques. Loin de là ! Les professionnels présentent souvent l’addiction comme un mode d’utilisation inapproprié d’un produit. Ici, dans le cadre de la porno-dépendance, il n’y a pas véritablement de produits comme l’alcool, mais essentiellement un comportement invalidant.
Conséquences intimes
Dans le cadre de la rédaction de cet article, une sexologue nous a aiguillés. Et, elle aussi, elle préfère parler de « comportement compulsif » occupant le psychisme de l’individu plutôt que d’addiction. Ainsi, si la masturbation est naturelle, en abuser jusqu’à une quinzaine de fois par jour en visionnant des sites pornographiques a des conséquences sur la vie professionnelle et sur la vie de couple. Et de citer un patient, la trentaine, qui ne désirait plus faire l’amour à sa compagne, préférant la pornographie sur les écrans. Ou encore cet homme de 50 ans qui s’enfermait plusieurs fois par jour, de longues minutes, dans les toilettes de son travail pour visionner des vidéos érotiques sur son GSM. Des collègues s’en sont rendu compte. Et cela lui a causé bien des soucis.
Il existe donc bien, en ce sens, une forme de dépendance à la pornographie particulièrement depuis l’avènement d’Internet (cyberdépendance). Plutôt que de l’addiction donc, certains évoqueront, à l’instar du psychiatre américain Aviel Goodman, une « perte de contrôle et la poursuite du comportement pathologique malgré la connaissance de ses conséquences négatives pour l’individu ».
Addictions genrées ?
Dans un article paru dans le Quotidien du médecin en mars 2012, la professeure de psychiatrie Florence Thibaut évoquait le terme d’hypersexualité. Elle le définissait comme « une fréquence excessive, croissante et non contrôlée du comportement sexuel dont les conséquences sont négatives pour le sujet qui en est atteint. La fréquence d’un tel comportement a pu être évaluée entre 3 et 6 % de la population générale. Ce comportement est essentiellement l’apanage des hommes (5 hommes pour 1 femme) et débute en général à l’adolescence. » Les addictions chez les femmes sont plus rares, c’est un fait. Chez l’homme, le mécanisme de l’éjaculation est lié à la jouissance. Selon Florence Thibaut, cette hypersexualité inclut des comportements sexuels comme la masturbation compulsive (de 5 à 15 fois par jour). Ce qui provoque parfois des blessures des organes génitaux externes (blessures péniennes ou clitoridiennes). La professeure cite aussi la dépendance à des « formes anonymes ou payantes du désir sexuel comme la prostitution, la pornographie, la sexualité par Internet qualifiée de cybersexe. Elle est actuellement définie par la durée de visualisation de sites pornographiques de 7 à 14 heures par semaine ».
Récompenser le cerveau
Comment expliquer ce phénomène ? Pour Michelle Boiron, psychologue clinicienne, il est lié « à un dérèglement du circuit de la récompense dans le cerveau. Celui-ci en réclame toujours plus pour retrouver le niveau d’excitation ressenti lors des premières expériences. Ce qui pousse l’individu à consommer de plus en plus d’images à caractère sexuel ». L’orgasme devant des images sexuelles soulage les angoisses dans un premier temps. La pensée est dirigée vers le besoin de se dégager d’une tension, de se donner du plaisir. Mais la répétition à l’excès, constatent les thérapeutes, laisse place à des sentiments de honte, voire de culpabilité chez certains. Des dommages comme des insomnies ou un amaigrissement peuvent également survenir. Notons que le sentiment de culpabilité est davantage exacerbé chez ceux dont la religion a toujours une place plus importante dans leur vie. Pensez à ce sujet à la notion de l’abstinence dans le catholicisme.
Question d’impact
C’est assez subjectif selon les individus, mais en fin de compte, c’est la perte de contrôle due à une forme de dépendance sexuelle qui est problématique. Alors, comment savoir si on est « dépendant » au sexe ? Les sexologues et autres praticiens de la santé spécialisés sur cette question se basent sur plusieurs signes. En gros, ils vont s’inquiéter de savoir si la pratique de leur patient n’est plus contrôlable ; si elle a des conséquences sociales, familiales, médicales ; si elle provoque un état psychologique ou physique particulier (tristesse, anxiété, insomnie, etc.). Il existe même des tests pour évaluer une « addiction » (terme inapproprié ici) sexuelle. Le questionnaire de Carnes, par exemple, créé dans les années 1990, sonde les personnes sur leurs pratiques. Il demandera, entre autres choses, si vous vous êtes déjà fait la promesse d’abandonner certains aspects de votre sexualité ; si vous vous êtes déjà senti mal à l’aise vis-à-vis de votre comportement sexuel. Ou encore si votre comportement sexuel a déjà été à l’origine de difficultés pour vous ou votre famille. Les thérapeutes pourront ensuite interpréter les réponses aux questions et mettre en place des stratégies régénératrices. L’objectif d’améliorer l’estime de soi, de diminuer les pratiques qui mettent dans l’embarras directement ou… indirectement. C’est-à-dire quand cela devient invalidant pour la vie famille ou la carrière.