Parler de sexualité avec des pré-ados en proie au questionnement ramène souvent celles et ceux dont c’est le rôle à leur propre vécu. Lorsque douze jeunes filles rentrent dans le local d’animation du centre de planning familial, je ressens une tendre empathie pour cet âge inconfortable.
La puberté, cet âge particulier où le corps se transforme, où l’on peut ne plus se reconnaître, ce moment où, comme le disait Françoise Dolto, on ressemble à un homard en mue. Nous nous sommes défaits de notre ancienne carapace, devenue trop petite, et c’est parfois avec une grande vulnérabilité que nous construisons la suivante, celle de l’adulte en devenir. Cet âge auquel, au sein d’une même classe, l’avancée des changements pubertaires peut être tellement variable. Je me rappelle de la souffrance qui était mienne face à ce corps de déjà-presque-femme, à 11 ans, l’impression de déborder, d’occuper tellement de place dans un espace qui semblait rétréci.
Aujourd’hui, ces élèves et moi, ensemble, nous allons débattre de tout cela : grandir, changer, ressentir, les gains, les pertes, les peurs, les émotions labiles, l’excitation. J’ai la chance d’avoir mis en place, dans les écoles où j’interviens, des projets ÉVRAS qui commencent en maternelle, et ces jeunes filles, je les connais déjà. Un lien de confiance a pu se tisser au cours de nos rencontres préalables autour des émotions, des besoins et des relations. Bien que les animations n’aient aucune visée thérapeutique, elles constituent un entraînement à l’affirmation et à l’écoute et favorisent des prises de conscience : conscience de soi et de l’autre, conscience de notre équivalence, conscience de notre interdépendance. Elles sont aussi encadrées par des règles simples, telles que le respect de la parole de l’autre, la confidentialité, le droit au silence, le fait de parler en son nom. Autant de leviers à l’expression d’une parole vraie et libérée. C’est en tout cas mon credo et une des raisons pour lesquelles je défends ardemment ce dispositif d’ÉVRAS tout au long du cycle fondamental.
Partager pour apaiser
Il y a quelques semaines, je suis passée en classe afin de recueillir leurs questions de façon anonyme autour de la puberté. Les thématiques qui en ressortent sont évidemment souvent les mêmes (les pertes blanches, les règles, comment on fait les bébés, les poils…) mais l’anonymat permet aussi de toucher des questionnements plus affectifs autour du sentiment amoureux, du manque de confiance en soi, des moqueries. Cette animation n’est donc pas un exposé scientifique sur les changements pubertaires mais une co-construction, ancrée dans le vécu émotionnel de leur expérience actuelle. De cette expérience ressortent aujourd’hui des questions en lien avec le genre (pourquoi dit-on que les garçons sont moins matures que les filles ?), avec l’orientation sexuelle (comment sait-on si on est homosexuel ?), ou encore avec le harcèlement de rue (comment faire si on me suit dans le métro ?). La circulation de la parole, le renvoi au vécu de chacune, le partage des connaissances et des points de vue semble soulager et ouvrir le champ des possibles.
Effet miroir
En fin de rencontre, nous préparons la séance suivante (la dernière, pour elles, dans le cycle fondamental). Cette animation se déroulera avec la classe entière. L’objectif est de pouvoir échanger, entre filles et garçons, autour des besoins et des questionnements de chacun.e. Les filles expriment une gêne vis-à-vis des garçons de leur classe qui semblent les fuir, les défier, les titiller. Sur cette position défensive que peut constituer l’éloignement de l’autre sexe, elles aimeraient mettre des mots.
Lorsque j’échange avec ma collègue qui a animé le groupe des garçons, nous constatons sans surprise que c’est en miroir que sont exprimés les questions et les besoins. Les élèves pourront encore une fois ressentir que derrière des attitudes parfois mal comprises chez les autres se retrouvent leurs propres doutes, envies et émotions. À la fois identiques et différents, dans un même mouvement d’attraction et de peur, nous espérons qu’avec les mots pour le dire, ces jeunes ou futurs adolescents pourront trouver en eux comme chez les autres les ressources nécessaires à leur propre épanouissement.