Christine Guillain, en tant que professeure de droit pénal, pouvez-vous évoquer les dégâts humains causés par la criminalisation des usagers de drogues ?
Le recours au pénal crée énormément de souffrance et d’exclusion. Il porte atteinte à une série de droits fondamentaux, dont le respect de la vie privée. Le problème est que la détention de drogue est criminalisée en soi. Or, seuls les comportements qui posent des problèmes sociétaux, comme la conduite sous emprise, devraient l’être. Le recours à l’arme pénale est synonyme de contrôles, de fouilles, de visites domiciliaires voire de perquisitions et d’arrestations. C’est le début d’un engrenage, avec une éventuelle détention préventive, des poursuites et des condamnations qui peuvent mener à la prison et à un casier judiciaire. La stigmatisation est très forte. Les exclusions dans les écoles sont aussi problématiques.
Des résistances subsistent à la décriminalisation des drogues dans notre pays. Quelles sont-elles ?
On brandit encore souvent l’argument des conventions internationales qui n’est pourtant pas d’ordre juridique mais politique. Il est difficile de les remettre en cause au niveau international, d’autant que certains États recourent encore à la peine de mort pour les usagers de drogues et que l’Organe international de contrôle des stupéfiants pointent régulièrement du doigt les États qui mettent en place des politiques antiprohibitionnistes. Néanmoins, ces conventions peuvent faire l’objet d’interprétations pour décriminaliser l’usage des drogues, voire réglementer le marché du cannabis. C’est ce qu’ont fait le Portugal, l’Uruguay, le Canada et certains États américains. Un autre argument avancé est celui des mineurs. Mais quand une loi est modifiée ou adoptée, le législateur en règle les dispositions. Il peut donc décider de décriminaliser uniquement pour les majeurs.
Une remise en question de la loi de 1921 au niveau politique vous semble-t-elle envisageable à l’heure actuelle ? Juridiquement, qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Je ne suis pas très optimiste. Le gouvernement fédéral semble plutôt dans une optique répressive depuis la déclaration gouvernementale de 2014 et son principe de tolérance zéro. Dans la nouvelle note de politique générale émanant du ministre de la Justice, il n’est question que du port d’Anvers et de lutte contre l’augmentation de la violence liée au trafic de drogue. C’est le retour de la métaphore guerrière. Dans les rapports de la police fédérale, la drogue représente souvent le premier motif d’arrestations judiciaires avant toutes les autres infractions et le deuxième en matière de capacité d’enquête. Il semble impossible de sortir du paradigme de la prohibition. Il faut arrêter d’inscrire le principe de tolérance dans des circulaires et plutôt l’inscrire dans une loi, à savoir décriminaliser les comportements entourant l’usage des drogues. Dans le cadre d’une réglementation, l’État prendrait en charge la production et la distribution des drogues, à commencer par le cannabis.