Espace de libertés | Janvier 2021 (n° 495)

Web et liberté d’expression : la quadrature du cercle


Dossier

Comment faire ? Comment préserver la liberté d’expression tout en garantissant celle des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs ? La question tient de la quadrature du cercle. En témoigne le sort réservé en France à la loi Avia, retoquée par le Conseil constitutionnel qui y a vu en juin dernier un risque d’« atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ». Le Conseil a craint que, forts de cette loi, les Facebook et Cie ne donnent dans la « surcensure ».

Et pourtant, ses défenseurs les plus clairvoyants s’accordent à dire que la liberté d’expression scie, avec les réseaux sociaux, la branche sur laquelle elle est assise. Ce sont eux en effet qui permettent à Matteo Salvini de rester populaire sur la scène transalpine bien qu’il ne fasse plus partie du gouvernement italien. Ce sont eux qui nourriront demain la défiance à l’égard de l’administration Biden sur un air revanchard trumpien. Ce sont eux qui dopent ce cyber-islamisme fatal à Samuel Paty.

Personne n’a pour l’instant la solution. Pas davantage aux États-Unis qu’en Europe, où chaque État a ses spécificités légales. Le premier amendement américain protège la liberté d’expression et la presse. Mais, contrairement à la loi française par exemple, il admet les discours haineux pourvu qu’ils n’incitent pas à la violence. En Belgique, on ne peut pas tout dire au nom de la liberté d’expression. L’insulte, la diffamation, etc., sont des actes illégaux. Il faut y ajouter la loi Moureaux contre le racisme et la xénophobie (1981), la loi contre le négationnisme (1995) et la loi anti-discrimination (2007).

Ces particularités compliquent fatalement la donne face à des réseaux sociaux qui n’ont pas de frontières. D’où la question posée par Romain Badouard, maître de conférences et chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Institut français de presse à Paris 2. En dépit des déboires de la loi Avia, dans Les Nouvelles Lois du Web, Romain Badouard se réjouit de voir apparaître d’autres législations nationales imposant aux réseaux sociaux un nettoyage en règle. Il estime qu’une législation européenne est nécessaire. Il s’interroge sur la manière dont les grands annonceurs publicitaires pourraient eux aussi participer à la traque des discours de haine sur le Web. Enfin, « il faudrait donner aux usagers un droit à se faire entendre dans les décisions qui concernent les politiques de publication des réseaux sociaux, et le droit de pouvoir faire appel des décisions prises ». Une « utopie » qui mériterait d’être au moins testée.