Espace de libertés | Janvier 2021 (n° 495)

L’assuétude n’est pas un crime


Libres ensemble

Ces derniers temps, c’est au cœur même de la nation à l’initiative de « la guerre contre la drogue » menée dans le monde depuis plus de cinquante ans – et chez quelques-uns de ses voisins – que de notables évolutions se font jour.


Les dernières élections présidentielles américaines ont également été l’occasion d’une série de référendums1 en matière de drogues. Celui qui s’est déroulé en Oregon, un État confronté à de sérieux problèmes d’addiction en lien avec la crise des opioïdes, constitue une petite révolution. Premier État à avoir décriminalisé la possession de cannabis en petites quantités en 1973, le très progressiste Oregon vient une fois encore de marquer l’histoire américaine, ébranlant un peu plus les bases d’une politique essentiellement répressive prônée depuis des décennies. Le 3 novembre dernier, plus de 58  % des électeurs de cet État ont approuvé la « mesure 110 », une initiative populaire visant à décriminaliser la détention dans des proportions acceptables de tout type de drogue à des fins non commerciales. La possession de plus grandes quantités reste cependant un crime. Largement inspirée de l’expérience portugaise2, la mesure 110 a notamment recueilli le soutien de plusieurs associations de médecins et d’infirmières de l’État.

L’Oregon, toujours pionnier

Concrètement, toute personne surprise en possession d’une petite quantité de stupéfiants destinée à son usage personnel aura le choix entre le versement d’une amende de 100 dollars ou une évaluation sanitaire pour déterminer si sa consommation est problématique. Le projet prévoit également la création de centres de soins financés avec les recettes fiscales provenant de l’industrie du cannabis, réglementée depuis 2014, et les économies escomptées dans le cadre judiciaire.

Le résultat de cette consultation citoyenne témoigne d’un important changement de mentalité et d’un renversement significatif de la perception des drogues au sein d’une partie grandissante de la population américaine. Leur décriminalisation étant de plus en plus considérée comme une approche « qui permet d’améliorer l’accès aux services de santé et aux traitements pour ceux qui en ont besoin, sans qu’ils soient punis ou stigmatisés », commente Matt Sutton, un responsable de l’ONG Drug Policy Alliance, dans Le Monde3. Un vote porteur d’espoir pour les militants, qui espèrent que d’autres États s’engageront dans la même voie, aboutissant in fine à une modification de la loi fédérale, qui criminalise toujours l’usage des drogues. Et justement, le Congrès devrait se prononcer début décembre au niveau fédéral sur le projet de légalisation du cannabis, dit loi MORE.

Vancouver n’est pas en reste

Épicentre canadien de la crise des opioïdes, la Colombie-Britannique doit également faire face à une augmentation de surdoses mortelles depuis le début de la pandémie de Covid-19.

Afin d’enrayer ce dramatique processus, le maire de Vancouver a présenté une motion au conseil municipal en vue de décriminaliser la possession simple de toutes les drogues illicites. Voté à l’unanimité le 25 novembre par le conseil de la ville, ce projet doit encore être validé à l’échelon fédéral. Si elle obtient cet aval, Vancouver deviendra la première municipalité canadienne à avoir pris une telle mesure.

En juillet dernier, l’Association canadienne des chefs de police (ACCP) a également appelé à la décriminalisation de la possession pour usage personnel de substances illégales. Adam Palmer, chef du service de police de Vancouver et président de l’ACCP, a notamment déclaré à cette occasion que l’ACCP reconnaît que l’usage de drogues et la toxicodépendance sont des enjeux de santé publique et qu’« être accro à une substance contrôlée n’est pas un crime et ne devrait pas être traité comme tel »4.

Et l’on se prend à rêver des conséquences possibles sur le plan international d’un tel changement de paradigme outre-Atlantique.


1 L’Arizona, le Montana, le New Jersey et le Dakota du Sud ont voté pour la légalisation du cannabis à usage récréatif. Le Mississippi l’a autorisé à usage thérapeutique.
2 En 2000, le Portugal a décriminalisé la consommation individuelle de toutes les drogues.
3 Luc Vinogradoff, « Avec la décriminalisation de toutes les drogues dans l’Oregon, “le consensus derrière la prohibition mondiale est définitivement fracturé” », dans Le Monde, 25 novembre 2020.
4 Frédérik-Xavier Duhamel, « Les chefs de police prônent la décriminalisation de la possession simple de drogue », mis en ligne sur https  ://ici.radio-canada.ca, 9 juillet 2020.