La reconnaissance faciale a été généralisée par le régime chinois, qui poursuit son projet totalitaire de surveiller l’ensemble de la population. Si cette technologie a de nombreux promoteurs en Europe, elle s’y heurte heureusement à de fortes résistances.
Être authentifié et identifié à partir des traits de son visage : au cœur de la biométrie, la reconnaissance faciale est sans doute l’une des applications de l’intelligence artificielle la plus inquiétante. Son utilisation par les autorités publiques, couplée à un vaste réseau de vidéosurveillance, pourrait nous faire entrer dans un univers dystopique. En effet, le système identifie automatiquement un individu en comparant son visage avec des images stockées dans une base de données. De nombreuses compagnies privées, dont Facebook, y ont recours, mais le présent article est consacré à son usage par les autorités étatiques. Cette technologie peut être appliquée en « temps réel », ou a posteriori comme outil d’enquête.
En particulier, l’aspect le plus dangereux pour les libertés publiques est la reconnaissance faciale live par les caméras de surveillance installées dans les villes. Ce dispositif permet aux autorités de maintenir une surveillance constante de la population. La reconnaissance faciale rendue possible par la vidéosurveillance de masse porte une atteinte grave aux droits fondamentaux, à commencer bien sûr par le droit au respect de la vie privée, car toute personne pourrait être identifiée dès qu’elle quitte son domicile et s’aventure dans la rue. En outre, il n’y a aucun moyen de la refuser ou d’y échapper (opt-out). Chaque personne est observée et potentiellement identifiée – ou pense qu’elle peut être observée – en permanence, selon le principe du panoptique, cette fois étendu à la société entière. Les autres droits les plus menacés sont la liberté d’expression et d’assemblée, car dans ces conditions, un citoyen peut être dissuadé de participer à une manifestation ou à toute action de protestation.
Aux origines de l’usage de masse
La reconnaissance faciale a été introduite à peu près au même moment dans diverses parties du monde (Chine, mais également pays européens comme les Pays-Bas, qui sont des pionniers en la matière, États-Unis…) à partir de 2016-2017. Cependant, elle reste encore peu utilisée en Europe. Elle a été développée et appliquée de manière systématique en Chine, comme un outil parmi d’autres d’un système visant à exercer une surveillance totale sur l’ensemble de la population. Parmi les autres outils mis en place par le régime figurent le système de « crédit social », des puces dans les smartphones, etc.
La reconnaissance faciale rendue possible par la vidéosurveillance de masse porte une atteinte grave aux droits fondamentaux, à commencer par le droit au respect de la vie privée. © Julian Stratenschulte/dpa Picture Alliance
Ce système de contrôle complet de la société a été poussé à son comble dans la province du Xinjiang, patrie des Ouïgours et d’autres minorités de religion musulmane. On a déjà beaucoup écrit sur l’horreur de la répression qui s’est abattue sur les membres de ces groupes nationaux. Selon les estimations, plus d’un million de personnes sont internées dans des « camps de rééducation » (sur environ 10 millions de Ouïgours), dans un but d’« anéantissement culturel ».
Associé à la reconnaissance faciale en temps réel, le quadrillage systématique de l’espace public (rues, places, centres commerciaux, etc.) par des caméras de surveillance est l’un des instruments centraux de ce dispositif. Dans le cadre du régime totalitaire de la République populaire de Chine, il s’agit là d’un instrument redoutable.
Vers l’introduction de la reconnaissance faciale en Europe ?
En Europe, les normes et les procédures dédiées qui régissent la protection des droits fondamentaux rendent bien plus difficile la mise en place de la reconnaissance faciale. On est encore loin d’un usage systématique, bien que de nombreuses autorités publiques soient fortement tentées par cet instrument. Aux Pays-Bas, la reconnaissance faciale semble assez largement utilisée, sans grande contestation. Au Royaume-Uni, la reconnaissance faciale live alliée à la vidéosurveillance a été utilisée par certaines forces de police (sud du Pays de Galles, Londres), mais elle a été jugée illégale en août 2020 par la Court of Appeal, la deuxième plus haute juridiction du pays. En France, de nombreuses tentatives de mise en place de tels systèmes ont eu lieu : Nice envisage de le faire, tout comme Paris, à l’occasion des JO de 2022, dans les transports en commun… Cependant, ces projets se heurtent à de fortes résistances (ainsi de la décision autorisant la reconnaissance faciale à l’entrée des lycées de Marseille, annulée par le tribunal administratif). En Belgique, la police fédérale a – momentanément ? – dû renoncer à cette technologie, déclarée illégale par l’organe de contrôle de l’information policière. En Hongrie, enfin, un projet gouvernemental prévoit un système de vidéosurveillance centralisé qui permettrait l’usage de la reconnaissance faciale. Les critiques pointent l’absence de garanties procédurales des droits fondamentaux. Dans la plupart des pays européens, il s’avère que la reconnaissance faciale n’est pas autorisée par le droit, et son développement se fait donc de manière progressive, sous la forme d’expérimentation.
Résistances ou le droit à l’anonymat
Si, sur le Vieux Continent, elle séduit certaines autorités ou forces de police, la reconnaissance faciale fait face à une forte opposition. De nombreuses ONG sont actives et mènent la résistance à son usage (La Quadrature du Net en France, Big Brother Watch au Royaume-Uni…). Ces associations introduisent des recours devant la justice contre la mise en place de cette technologie, qui sont souvent couronnés de succès. Elles ont également étudié de près son fonctionnement concret, et, contrairement aux affirmations de ses défenseurs, elles ont mis en évidence ses nombreux défauts. La reconnaissance faciale est en réalité peu efficace : le nombre de « faux positifs » est très important. Des personnes peuvent donc être injustement mises en cause sur la base d’analyses erronées. En outre, ces « faux positifs » ciblent de manière disproportionnée les femmes et les personnes appartenant à des minorités ethniques.
Contre les risques de la reconnaissance faciale, ces ONG militent pour que l’Europe suive l’exemple donné par certaines villes comme San Francisco, qui a interdit sa mise en œuvre par la police municipale. Les nombreux arguments contre une société de la surveillance généralisée ont poussé la Commission européenne à envisager un moratoire sur la reconnaissance faciale dans l’Union. Cette idée venue de Chine pourrait bien ne jamais s’implanter en Europe. Les citoyens attachés à une société libre doivent cependant rester vigilants.