Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

La culture, un droit pour toutes et tous


Culture

On la juge parfois trop chère, trop élitiste aussi. « La culture pour toutes et tous », c’est le credo de Laurence Adam, directrice d’Article 27 Bruxelles. Cette association fondée il y a vingt ans œuvre pour offrir une bulle d’oxygène culturelle aux personnes vivant une situation sociale ou économique difficile.


Avec la fermeture des salles de théâtre, de cinéma, de concert que nous avons connue plusieurs semaines, voire plusieurs mois, beaucoup de personnes se sont retrouvées en mal de sorties culturelles. Peut-on faire le parallèle avec le quotidien des centaines de milliers de Belges qui n’ont jamais accès à la culture ?

La situation que nous avons vécue, avec un accès très limité à la culture, est en effet assez proche. Et pour les personnes vivant dans la précarité, cela concerne aussi bien la fréquentation de lieux culturels que l’expression culturelle. Notre combat est de faire en sorte que ces personnes retrouvent le chemin de la participation culturelle. Il passe par la reconnaissance de la culture comme un droit fondamental et par le fait que toutes les personnes ont le droit de participer à la vie culturelle. On se retrouve dans une situation où la culture n’est pas légitimée par l’ensemble de la société et où le fait d’être en situation de pauvreté renvoie ce domaine à l’accessoire, au luxe, car ne relevant pas des besoins physiologiques. La culture est pourtant fondamentale ! Elle nourrit, elle permet de se décaler de sa condition humaine, elle questionne l’individu, son lien avec les autres et la société tout entière. Être privé de la participation culturelle est douloureux et rien ne le justifie. Depuis vingt ans, nous militons pour que le droit à la culture soit considéré sur un même pied que les autres droits.

POUR ILLUSTRER LE PAPIER DE TUPAC POINTU SUR L'AUDIODESCRIPTION AU THEATRE. "Souffleur de mots au thÈ‚tre, l'art de murmurer la piËce ‡ l'oreille des aveugles". Des personnes non-voyantes munies de casques audio, s'apprÍtent ‡ assister ‡ une reprÈsentation de "Dom Juan" de MoliËre ‡ l'aide d'une audiodescription au thÈ‚tre du Parvis Saint Jean, le 9 fÈvrier 2012 ‡ Dijon. ArrivÈs avant la reprÈsentation, les non-voyants touchent des ÈlÈments du dÈcors et les comÈdiens prÈsentent chacun leur rÙle pour leur permettre d'identifier les diffÈrentes voix et de s'y habituer.   AFP PHOTO / JEFF PACHOUD (Photo by JEFF PACHOUD / AFP)

Aller voir une pièce, même quand on touche une petite retraite, ne doit pas être un luxe. © Jeff Pachoud/AFP

Quand on a du mal à joindre les deux bouts, cela peut sembler plus important de se loger et de se nourrir que d’aller voir une exposition. Pourtant, comme vous le dites, la culture aussi est nourricière.

C’est une vraie question de société : que veut-on faire entre notre naissance et notre mort ? Pour certains, il y aurait la vie, riche, dense, nourrie, et pour d’autres, il n’y aurait que la survie. Nous ne sommes pas d’accord, nous voulons sortir de cette opposition et que toutes les personnes sur terre aient les mêmes droits.

Le confinement et ses conséquences sur la participation culturelle vont-ils, selon vous, permettre de faire avancer la réflexion sur l’accès à la culture ?

Depuis de nombreuses années, afin de démontrer l’importance de la culture, nous posons les questions « quel serait un monde sans culture ? », « que serait une vie sans arts ? », aussi bien aux travailleurs sociaux qu’aux travailleurs culturels et aux publics. Nous la renvoyons aujourd’hui à celles et ceux qui ont fait l’expérience d’une privation temporaire.

L’accès à la culture pour toutes et tous passe par des prix réduits, mais ce volet financier n’en est-il qu’un parmi d’autres ?

Les valeurs d’Article 27 sont nourries par les valeurs inhérentes aux droits humains : la solidarité, la justice sociale, et l’égalité, bien sûr ! Quand on a un budget mensuel de 900 euros tout compris, comment se payer une place de spectacle à 15 euros ? Il faut réduire le coût, et pour cela, tout le monde participe : les opérateurs culturels qui acceptent de diminuer leurs prix, les usagers qui s’acquittent d’un montant symbolique, les acteurs sociaux qui paient une cotisation, et Article 27 qui apporte une petite compensation rendue possible par la participation des pouvoirs publics. Grâce à la contribution de chacun.e, l’offre culturelle est diversifiée, accessible tout le temps, en tout lieu et le nombre de places n’est pas limité. Un autre point primordial pour nous est que la culture vienne aux gens, les travailleurs sociaux sont très attentifs à ce qui est au programme et œuvrent à l’accompagnement des publics en leur proposant des choses à aller voir en famille, avec les enfants ou entre adultes.

En 1999, au moment du lancement, mille tickets étaient proposés. En 2019, ils étaient près de soixante mille tickets. Cette croissance très forte est-elle à la fois positive – car de plus en plus de personnes ont accès à la culture – et négative – car la pauvreté ne diminue pas ?

La pauvreté est malheureusement grandissante. À Bruxelles, dans les communes les plus pauvres, il y a trois fois plus de chômage et de redoublement que dans les communes les plus riches. Trois cent mille personnes vivent en situation de précarité. Article 27 ne touche pas tout le monde. Nous travaillons avec 230 associations partenaires et 150 autres sont en attente de partenariat. Comme Article 27 doit les rembourser, il faut avoir les fonds nécessaires ! Nous souhaiterions donc avoir les moyens de conventionner toutes les associations sociales qui veulent lutter contre la pauvreté par la participation culturelle, mais aussi que soit instauré un tarif social culturel, afin que toute personne qui désire aller au musée ou au théâtre puisse le faire sans « exploser » son budget.

Après la crise sanitaire, pensez-vous que le secteur culturel – qui a beaucoup souffert – va être tenté d’augmenter ses tarifs ou que la démocratisation de la culture restera aussi importante pour tous les acteurs ?

Le système mis en place par Article 27 permet de mettre en œuvre une mission sociale, et cette dernière est inscrite dans l’ADN des lieux culturels. Ils doivent être soutenus par le politique, pour cela… Soutenir d’abord le secteur de l’aviation est un choix, mais quid du secteur culturel ? Quel monde voulons-nous : un monde où tout le monde a accès à la culture, ou un monde dans lequel on voyage beaucoup ? Et surtout, que met-on en place pour faire en sorte que ce monde existe ?