Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

La mainmise des écoles confessionnelles


International

Au Royaume-Uni, la National Secular Society (NSS) milite pour la séparation des Églises et de l’État depuis plus de cent cinquante ans. En 2018, l’organisation a lancé la campagne « No More Faith Schools » avec un but : réduire le nombre d’écoles confessionnelles. Alastair Lichten, coordinateur de cette initiative, nous explique les enjeux politiques et sociaux.


Quelle est la raison d’être de cette campagne et ses objectifs ?

Il s’agit d’une initiative qui vise le long terme. Un tiers des écoles publiques du Royaume-Uni ont une désignation ou un caractère religieux officiel. Notre objectif est d’abord d’empêcher l’ouverture de nouvelles écoles confessionnelles financées par l’État. Ensuite d’assurer la transition vers un système d’éducation publique laïque, où toutes les écoles sont ouvertes à tous. La NSS coordonne la campagne, mais tout le monde est invité à la rejoindre au niveau national ou local : syndicalistes, laïques, religieux… La campagne constitue une plateforme qui permet de rassembler les gens.

Ces écoles sont-elles uniquement fréquentées par des familles religieuses ?

C’est difficile à dire. Dans certains cas, les parents doivent faire semblant d’être religieux afin de pouvoir entrer dans l’école locale. Il y a aussi l’idée, problématique, de présumer que les enfants sont croyants parce que leurs parents le sont. Nous savons que ce n’est pas nécessairement le cas. Les écoles confessionnelles ont tendance à être moins représentatives de leurs communautés locales. Les gens choisissent d’abord et avant tout leurs écoles locales. Beaucoup de gens ne vivent pas dans des régions du pays où ils ont le choix entre plusieurs écoles, et il est en fait très rare que les parents choisissent des écoles sur la base de leur foi.

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C’est ce que le NSS appelle l’illusion du choix, n’est-ce pas ?

Oui, l’illusion du choix est un axe du travail de la NSS. En Angleterre, trois familles sur dix vivent dans des régions où la plupart ou la totalité des écoles primaires sont des écoles confessionnelles. Dans les zones rurales, 43 % des personnes vivent dans des zones où le choix d’une école non confessionnelle est très limité ou extrêmement limité. Environ 20 000 personnes par an sont envoyées dans des écoles confessionnelles par des parents qui, de préférence, iraient dans une école non confessionnelle si elles le pouvaient. Cela restreint énormément le choix.

Vous dites que la campagne vise à rassembler les gens. Quel type de personnes la soutiennent ?

Il y a un très large éventail d’opinions. Il y a des gens antireligieux, des personnes religieuses qui estiment que l’État ne devrait pas financer les écoles publiques, celles qui ne sont pas d’accord avec les admissions discriminatoires… Depuis le lancement de la campagne, des dizaines de milliers de personnes ont mené des actions, signé la pétition nationale, signé des pétitions locales, écrit à leurs députés, etc.

Le plaidoyer auprès des décideurs politiques est l’un des piliers de la campagne. Comment cela s’est-il passé ?

Nous constatons que beaucoup de décideurs politiques reconnaissent qu’il existe un problème avec les écoles confessionnelles. Mais ils les considèrent comme une partie inévitable du système éducatif. Le lobby des écoles confessionnelles est incroyablement puissant et bien connecté, et les politiciens sont réticents à soutenir une quelconque source de changement, même s’ils reconnaissent tous ces problèmes.

Mis à part le lobby religieux, d’où vient cette réticence au changement chez les politiciens ?

Il y a beaucoup d’idées fausses sur les écoles confessionnelles. Ils peuvent surestimer leur popularité. Et comme elles représentent un tiers des écoles, elles ont été normalisées. Nous devons reconnaître que les décideurs politiques ont tendance à appartenir à un groupe socio-économique et démographique plus restreint que la population en général. Les politiciens sont plus susceptibles d’être eux-mêmes religieux et de fréquenter des écoles confessionnelles.

Et ces écoles se maintiennent alors que la religiosité de la société britannique ne cesse de diminuer. Comment expliquez-vous ce décalage entre société et politique éducative ?

Même si ce décalage existe, la campagne ne vise pas à opposer des personnes religieuses et non religieuses. Les projets d’écoles confessionnelles présentent leurs opposants comme très antireligieux. Beaucoup de gens le sont, mais la réalité est beaucoup plus hétérogène que cela. Il n’y a pas de lien entre la religiosité de la société ou le soutien public aux écoles confessionnelles et l’augmentation de ces dernières. S’il y avait un lien quelconque, nous nous attendrions à ce que la proportion de ces écoles diminue. Mais elle a augmenté au cours des dernières décennies.

La problématique des écoles confessionnelles et les enjeux Églises-État sont essentiellement liés. Peut-on affirmer que le succès de la campagne dépend directement du rôle de la religion dans la vie publique ?

Je pense que oui. Les écoles confessionnelles ne sont absolument pas viables sans les exemptions religieuses à la législation sur l’égalité et les droits humains. Le fait que nous avons une Église d’État officielle et qu’elle a un accès privilégié à toutes sortes de décideurs politiques et un accès direct au gouvernement ancre l’existence des écoles confessionnelles et rend beaucoup plus difficile d’argumenter contre elles.

Parlons des campagnes locales. L’appartenance à la communauté et le travail en réseau sont-ils importants pour le succès des actions ?

L’essentiel est que les gens croient qu’il y a une chance de succès. Découvrir qu’il y a d’autres personnes est très puissant afin d’organiser les groupes. Les gens ont également tendance à penser : « Mes voisins sont religieux, ils seront donc en faveur des écoles confessionnelles. » Ce n’est pas vrai. Rien ne justifie que les gens soient en faveur des écoles religieuses parce qu’ils sont personnellement religieux.

Finalement, avez-vous remporté un certain succès depuis que la campagne a été lancée voici deux ans ?

Notre plus grande réussite à ce jour est que de plus en plus de députés et de décideurs politiques savent que nous sommes là, qu’il existe un groupe d’opposition bien organisé qui fournit une plateforme aux personnes s’opposant aux projets d’écoles confessionnelles. Chaque campagne ébranle l’idée que les écoles confessionnelles sont inévitables et que nous sommes bloqués dans cette situation.