Nous sommes en 2062 quand survient l’effacement mondial des données numériques. Auparavant, bien des étapes avaient jalonné les évolutions technologiques et politiques qui nous séparent de cette date. Les institutions politiques nationales ont disparu, et dès 2036, les pays membres de l’Europe « numérique » sont devenus des provinces. L’agence numérique, créée en 2026, a conduit en 2042 à une régulation de la fabrique législative par l’intelligence artificielle… Ce sont ces quelques décennies que Virginie Tournay se propose de nous décrire dans un récit où les projections scientifiques se mêlent aux considérations politiques. L’auteure française est à la fois biologiste et politologue. Elle a déjà contribué à de nombreuses réflexions sur les rapports entre les sciences et la société, et son recours à la fiction pour dépeindre un futur possible ne s’éloigne pas de ce qui est raisonnablement envisageable.

« Que fait-on avec un contenu figé sur un support encombrant ? Les gens ne peuvent pas savoir de quoi ils seront curieux s’ils ne reçoivent pas de données personnalisées ! » Comme l’illustre cet extrait d’un dialogue sur l’utilité des livres, l’auteure nous propose de savoureux échanges au sein de la commission de l’intelligence artificielle de l’Assemblée nationale. En 2025, les députés y sont certes classés par sensibilité politique, mais ce critère est loin d’être le seul à les définir. On n’hésite donc pas à décliner son genre, qui ne saurait bien sûr se résumer à homme ou femme. On affiche, outre ses préférences sexuelles et son régime matrimonial, ses origines, ses choix alimentaires et ses options environnementales. En fait, on l’aura compris, la démarcation entre le privé et le public n’a plus de sens dans ce monde-là. Entre science-fiction et prospective politique, le mérite de ce livre consiste à nous offrir aussi une fable philosophique. Quelle humanité voulons-nous, préparons-nous ? Saurons-nous conjurer le pire, voire envisager le meilleur ? Il y a là matière à de riches réflexions. (phf)