La crise du Covid a souligné la persistance des inégalités dans l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, la ministre de l’Éducation Caroline Désir affirme que le Pacte d’excellence et, en particulier, la prolongation du tronc commun jusqu’en troisième secondaire aideront à réduire les disparités entre élèves. Face à une actualité brûlante, elle prévoit d’enfin inscrire l’histoire de la colonisation dans le programme scolaire, d’ouvrir les chantiers de la deuxième heure de CPC1 et d’une meilleure diffusion de l’ÉVRAS.
On reproche régulièrement à l’école de ne plus être assez en phase avec l’évolution de nos sociétés. Quels sont les éléments que vous estimez les plus innovants dans le Pacte d’excellence ?
Il y a d’abord deux choses que je voudrais mettre en avant. Pour l’ensemble des chantiers du Pacte, on a un processus de concertation très étroit. Il n’y a pas un dossier qui avance sans que soient concertées les fédérations de pouvoirs organisateurs, les organisations syndicales et les fédérations d’associations de parents. Tous les acteurs de l’enseignement se sont mis d’accord autour des grands objectifs de la réforme. Ce qui est très intéressant, c’est ce caractère systémique : on ne va pas faire une petite réforme pour toucher à un des aspects, non on va s’attaquer à tous les difficultés de notre système en même temps parce tout se tient. C’est une réforme qui s’envisage sur quinze ans aussi. On n’a jamais effectué une réforme de cette ampleur-là. L’autre aspect innovant, c’est qu’on va totalement revoir le parcours d’apprentissage des élèves, des maternelles jusqu’à la troisième secondaire. Il s’agit de vraiment définir ce qui doit être appris par les élèves et ce qui va contribuer à les équiper suffisamment afin qu’ils soient des citoyens à l’issue de ce tronc commun.
Le plan de pilotage (qui offre plus d’autonomie aux écoles) ne risque-t-il pas de renforcer des inégalités entre elles, à cause des différences de capacités et de moyens des établissements scolaires à mener à bien cette mission ?
Ces plans de pilotage, c’est pour nous une façon de concilier le fait qu’en tant que pouvoir régulateur, la FWB doit pouvoir déterminer ce que l’on veut comme amélioration pour notre système scolaire et tenir compte du contexte spécifique de chaque école. C’est-à-dire qu’avec leur équipe pédagogique, les directeurs vont devoir redéfinir le projet pédagogique de leur établissement, en fonction de leur réalité propre. Donc on peut très bien imaginer qu’une école en encadrement différencié avec un public très défavorisé ne va pas avoir les mêmes objectifs qu’une autre. Mais ce qui est important, c’est qu’elles doivent toutes s’inscrire dans les objectifs généraux de la Fédération. Il y a une notion de contractualisation, puisque quand les écoles vont rédiger leur plan de pilotage, elles seront accompagnées par le DCO (délégué aux contrats d’objectifs), qui est chargé par la FWB de s’assurer de la cohérence entre les objectifs spécifiques déterminés par l’établissement et les objectifs généraux d’amélioration du système fixés par la FWB. Un contrat d’objectifs est ainsi signé entre l’établissement et la Fédération. L’un des objectifs généraux de la FWB est bien de réduire les inégalités parce que le fossé entre les très bons élèves et ceux qui se retrouvent exclus est beaucoup trop important.
Le décret inscription va-t-il être modifié ? Quel bilan peut-on tirer de celui qui est en vigueur actuellement en termes de réduction des inégalités ?
Ce que l’on sait après plus de 10 ans d’existence des décrets inscriptions, c’est qu’ils ont permis de rendre le processus plus transparent, d’avoir une régulation des inscriptions. C’est plus démocratique, tout le monde est mis sur la même ligne de départ pour pouvoir accéder à une école. Ce n’était pas toujours le cas avant. Quant aux points négatifs, c’est qu’en termes de réel impact sur la mixité, il n’y a pas de chiffres particulièrement probants. Il y a encore des écoles plus attractives que d’autres, et ça ce n’est pas un décret qui le changera. Pour répondre à votre question, oui on va modifier le décret inscriptions, c’est écrit dans la déclaration de politique communautaire. Certains effets pervers ont été identifiés et on va les corriger. De là à dire qu’on va fondamentalement revoir le système, je pense que c’est délicat : il n’existe en effet pas de recette miracle qui permettrait à 100 % des élèves d’avoir une place dans l’établissement de leur premier choix. Le principal problème actuel est lié à un manque de places attractives plutôt qu’au fonctionnement du décret… Nous devons donc aussi travailler sur l’attractivité de certains établissements.
Que pensez-vous du fait que la crise sanitaire a mis en lumière le caractère inégalitaire de notre système scolaire ?
Il ne faut pas mâcher ses mots, c’est catastrophique. Les mois de confinement ont mis en évidence ces inégalités. On pense au travail à domicile, aux familles qui n’ont pas l’environnement adapté pour cela, et puis on a vu, au moment du retour partiel à l’école que malheureusement ce sont bien souvent les élèves les moins favorisés qui y sont le moins revenus. On a là un souci car on risque de se retrouver avec des enfants qui n’ont plus du tout été en contact avec l’institution scolaire depuis plus de six mois, or on sait que rien que sur les deux mois d’été parfois, des enfants perdent des apprentissages. J’ai proposé au gouvernement d’apporter un soutien spécifique aux écoles pour qu’elles puissent élaborer une stratégie de différenciation des outils d’apprentissage à la rentrée. Cela me parait important car les profs vont être confrontés à une hétérogénéité des niveaux encore plus grave que d’habitude. On doit profiter des premiers mois de l’année pour prendre le temps de remettre à niveau, réparer ce qui n’a pas pu être fait ces mois-là, peut être revoir certains essentiels, passer des parties de programme qui ne sont pas indispensables pour la suite.
Certains sont favorables à une fusion des réseaux (pour des raisons de coût, d’égalité des chances, de mixité sociale…), est-ce un sujet que vous comptez mettre à l’agenda de votre législature ?
Dans un monde idéal je serais pour un réseau unique évidemment, mais ce n’est pas la coexistence de plusieurs réseaux qui nous met des bâtons dans les roues aujourd’hui parce que les réseaux ont pris l’habitude de travailler ensemble. En revanche, ça me paraîtrait intéressant qu’il y ait plus de collaboration entre les réseaux. Par conséquent, dans un monde idéal où il n’y aurait pas de contraintes, je trouverais ça plus simple, mais dans le système tel qu’il existe, je constate quand même que ça fonctionne, les partenaires ont appris à travailler ensemble depuis plusieurs années, ils ont appris à se respecter.
L’ÉVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) ne devrait-il pas être davantage envisagé dans les écoles comme outil un émancipateur, mais aussi en tant qu’espace de parole pour les enfants et les jeunes ? Un référentiel sera-t-il enfin créé afin d’unifier son enseignement ? Et la labellisation des formations est-elle prévue ?
On travaille avec plusieurs ministres pour avoir un label ÉVRAS, pour s’assurer que ceux qui prodiguent des animations dans les écoles aient la compétence pour le faire. Ce sont des sujets qui touchent à des choses sensibles, à l’éducation à la sexualité, aux orientations, ça ne peut pas se faire n’importe comment. Donc la labellisation est une grosse avancée et devrait être obligatoire partout. Et, comme je vous l’expliquais, on retravaille sur l’ensemble des contenus du tronc commun. Dans les cours de sciences, de philo et citoyenneté, il y a des choses qui touchent à l’ÉVRAS qui devront être obligatoirement inscrites dans les programmes. On pense évidemment à l’éducation à la vie sexuelle mais il y a aussi celle qui touche à la vie collective et sociale, à l’égalité des genres, au harcèlement, aux stéréotypes… C’était l’une de mes premières questions quand je suis arrivée comme ministre. Est-ce qu’on doit parler d’homosexualité en maternelle ? Tout dépend de la manière dont on l’exprime. Et à chaque âge, il y a une manière de procéder. Des jeunes enfants qui ont deux papas ou deux mamans, cela fait partie de la réalité de la vie dans les écoles aujourd’hui.
Quelle est votre position face à la proposition d’instituer deux heures de cours de philosophie et citoyenneté à l’ensemble des élèves, soutenue par le Centre d’Action Laïque ?
Il y a une volonté d’avancer là-dessus. Déjà, le cours existe, les questions de modalités pratiques sont posées. Dans la déclaration de politique communautaire, il a été prévu que l’avancée vers deux heures soit discutée au niveau du Parlement et un groupe de travail va s’y atteler en septembre. Le contenu est défini, il y a un nouveau référentiel, le problème est surtout organisationnel notamment dans les écoles où ce n’est pas le même prof qui donne la deuxième heure, c’est très compliqué. Ça serait intéressant d’effectuer une petite évaluation, de savoir comment ça se passe sur le terrain aujourd’hui en termes de morcellement de la charge pour les enseignements.
L’un des grands sujets d’actualité est celui de l’enseignement de la période coloniale, avec un regard critique et neutre par rapport à ce pan controversé de l’histoire belge. Avez-vous déjà des pistes pour réagir rapidement à cette demande ?
On est en plein cœur de l’actualité. On sent que la question sur cet enseignement commence à faire consensus. On fête les soixante ans de l’indépendance du Congo et il n’est pas normal qu’on ne sache rien de la colonisation qui fait quand même partie intégrante de l’histoire de la Belgique. On a des éléments qui devront être obligatoirement vus en deuxième et troisième secondaires. J’ai pris l’engagement de réunir un groupe de travail chargé de donner quelques lignes de conduite aux futurs auteurs de référentiels du supérieur en histoire pour que la question de la colonisation belge au Congo soit bien abordée, parce que cela reste une matière qui n’est pas évidente. Il faut une progressivité dans les apprentissages. Il y a les rapports sociaux, les rapports de domination entre indigènes et colons qui devront être abordés, mais il y a des sujets à aborder pour lesquels les élèves doivent être plus âgés, avec plus de maturité, et là tout est encore à faire. Évidemment ce qui est prévu pour les deuxième et troisième secondaires dans les référentiels va entrer en vigueur au fur et à mesure du tronc commun. Comme on commence progressivement avec les maternelles, cela veut dire que la première fois que les 2e secondaires auront ce cours d’histoire, on sera en 2026 ou 2027. C’est beaucoup trop tard ! Mon envie, c’est de rencontrer les différents réseaux pour voir si on ne peut pas anticiper cette partie du programme. L’idée serait peut-être que d’ici deux ans ils puissent déjà mettre en œuvre cette matière de manière anticipée. On ne peut pas attendre 2027, c’est clair !
1 Cours de philosophie et de citoyenneté.