Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

La crise a été un électrochoc pour l’école car elle a révélé tous les défis qui touchent les élèves et leurs familles. Durant le confinement, cette période hors du commun, la FAPEO (Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel) a observé les parents et les jeunes. Un entretien avec Véronique de Thier, responsable de la régionale de Bruxelles.


La FAPEO a mené plusieurs enquêtes dès le début du confinement. L’une d’elles concernait le travail à domicile. Avec un résultat très interpellant…

Globalement, même si la ministre de l’Éducation avait balisé cette question, le cadre, en tout cas en secondaire, n’était pas respecté. Les logiques de culture d’école par rapport aux nouveaux apprentissages ou aux travaux notés ont perduré pendant le confinement. On le savait déjà vis-à-vis des devoirs à domicile, mais cette situation n’a fait que renforcer ce constat, à savoir que le travail scolaire à domicile n’est pas possible, et s’avère discriminant.

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Cette situation semble avoir révélé la pression que l’école met à la maison…

C’est terrible. Il y a une pression incroyable sur le dos des familles, et on a recueilli beaucoup de témoignages allant dans ce sens. On ne peut plus dire que la FAPEO fantasme. Certains parents recevaient plusieurs dizaines de mails par jour, des alertes à minuit ou le dimanche. On peut rapprocher la situation vécue par les élèves de celle que les parents ont connue avec le télétravail. Il y a eu une invasion de l’espace privé par l’école, situation invivable pour beaucoup de familles.

En septembre, ce travail à domicile se poursuivra une fois par semaine pour les élèves du secondaire, qu’en penser ?

Il faudra baliser solidement ce travail à domicile parce que, même un jour par semaine – pour l’instant, on envisage le mercredi, il ne faudrait pas qu’on fasse comme si les élèves étaient à l’école. Il faut faire autrement, et là, l’institution scolaire n’y est pas vraiment préparée. Durant le confinement, les enseignants – mais ils ne sont pas formés à cela – ont travaillé à distance comme s’ils étaient à l’école, et fonctionnaient de la même manière… On a évoqué la situation des nombreux enfants qui n’étaient pas équipés, mais on a aussi pu constater une fracture numérique entre écoles, entre enseignants… Tout le monde n’est pas formé à ces outils.

Une autre leçon à tirer concerne les élèves en difficulté, nest-ce pas ?

En effet, c’est l’une des grandes leçons de l’école à distance  : un besoin accru pour les jeunes en difficulté, et moindre pour les élèves de familles plus favorisées. Il ne faut pas avoir peur de le dire ! Pour les enfants en difficulté, se retrouvant sans accompagnement, sans endroit pour travailler, sans matériel et vivant des situations familiales compliquées, le fait de ne pas être à l’école, c’était un drame. Il faut en tirer les conclusions. Il faut certainement repenser le temps scolaire, et donc sans doute reconsidérer la répartition des moyens pour aider les enfants qui sont le plus en difficulté. Cela me semble une évidence, et si certains enfants, plus favorisés, allaient moins à l’école, cela ne nuirait pas à la suite de leur parcours d’apprentissage.

Vous évoquez la situation des élèves plus défavorisés. Certains n’ont plus donné signe de vie.

Il y a eu des enfants qui ont disparu des radars, et que les écoles n’arrivaient pas à contacter, c’est vrai. Mais il y a aussi des écoles, voire des enseignants, qui n’ont absolument pas contacté les élèves. On a aussi de nombreux témoignages en ce sens. Il y a une question fondamentale qu’on ne se pose pas assez : c’est la question du rapport à l’école. Et pour certains jeunes, ce n’est pas un grand bonheur. La fin de l’année scolaire 2019-2020 nous a renforcé dans cette idée-là, et on est un peu désespérés quand même par la manière dont cela s’est produit. On espérait qu’il y ait un avant, un après, mais manifestement, on reste dans le même mode de fonctionnement, et on ne s’interroge pas sur ces enfants, ces jeunes, qui sont en décrochage, en difficulté, et le problème, ce sont les perspectives qu’offre l’école à ces jeunes : relégation, échec, manque d’estime de soi… L’école est pour eux un lieu qui les noie, qui les coule. Ce n’est pas la faute des parents, des élèves ou des enseignants, c’est la faute d’un système. Il faut se poser la bonne question et chercher à savoir pourquoi ces enfants ont disparu des radars. Les raisons sont nombreuses : il y a le manque de matériel, de suivi, c’est certain, mais c’est aussi la conséquence de ce que l’école offre et apporte à ces jeunes. En revanche, le raccourci selon lequel la crise a renforcé les inégalités scolaires, je n’y crois pas. Elle a certainement renforcé les inégalités sociales, et va hélas continuer de le faire, mais les inégalités scolaires sont bien installées depuis des décennies. La crise sanitaire les a seulement mises en lumière. L’école peine à se réinventer et repose encore, surtout dans le secondaire, sur un modèle autoritaire, où les élèves n’ont pas voix au chapitre, avec des règles qui leur sont imposées. Cela doit questionner l’école sur la manière dont les jeunes ont envie d’y venir, ont envie d’apprendre…

On ne va donc pas vers des lendemains qui chantent ?

Il suffit de voir le nombre de recours à l’école pour cause de redoublement. Il est en hausse ! Une situation totalement scandaleuse propre à ce système évaluateur, sanctionnateur. C’est une erreur de rester dans un tel système. Quand la Ministre met des balises, en précisant que le redoublement doit être exceptionnel et s’orienter vers quelque chose de positif comprenant une discussion avec les élèves et les parents, cela devrait être la règle tout le temps, et pas seulement en période Covid. Même s’il y a des balises dans une circulaire, les écoles font quand même ce qu’elles veulent. Il s’agit de la logique des écoles habituelles, celles qui fonctionnent de manière pyramidale, qui éjectent les élèves  : elles fonctionnent comme elles ont toujours fonctionné, Covid ou pas. C’est dramatique. On est devant des résistances qui viennent d’un public globalement plus favorisé, demandeur de cette compétition. Mais on ne compte pas baisser les bras : il faut que cette question du redoublement soit mise sur la table, il faut avancer sur cette question d’évaluation. Il y a aussi tout le Pacte qui doit se mettre en place. Les choses avancent malgré tout, et même si cette réforme cristallise beaucoup de tensions, il n’empêche, elle a le mérite d’exister et permet d’avoir une vue d’ensemble sur le système et de faire bouger les pièces du puzzle.