Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

La priorité ? Lutter contre les inégalités


Dossier

Mercredi 27 mai, en pleine crise sanitaire, le comité de concertation réunissant les entités fédérées du pays prenait une décision forte : reprise des cours le 2 juin pour les maternelles et le 8 juin pour les primaires en Belgique. Cette décision a mis fin à une période d’enseignement à distance et de confinement strict qui aura permis de nous interroger sur « l’école », ses faiblesses et ses opportunités. Ainsi, le temps d’un confinement, le coronavirus a mis en lumière de nouveaux enjeux pour cette réflexion essentielle à nos sociétés démocratiques : « Quelle école voulons-nous demain ? » L’enseignement reste une priorité pour le Centre d’Action Laïque qui milite pour une école publique, neutre et gratuite  : la seule capable de renforcer l’égalité entre tous les citoyens.


Les résultats des enquêtes PISA nous le rappellent régulièrement : l’enseignement francophone en Belgique est l’un des plus inégalitaires de l’OCDE. En d’autres termes, nous ne formons pas de mauvais élèves, mais l’écart entre les jeunes issus de milieux socio-économiques favorisés et ceux issus de milieux en difficulté est l’un des plus importants. La reproduction des inégalités en milieu scolaire, développée par les théories des sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans La Reproduction1, est alimentée par un mécanisme simple : l’école reproduit le modèle culturel des catégories sociales favorisées, sanctionne ce qui est culturellement légitime et sélectionne ceux qui sont capables de se l’approprier. À l’aune de ces constats, l’école nécessite d’être repensée. Surtout depuis que la crise sanitaire a mis en exergue ces inégalités et en a accentué d’autres, souvent moins visibles.

La première lutte contre les inégalités s’instaure dès le plus jeune âge, quand les habitus culturels de la majorité inscrivent l’enfant à l’école à 3 ans, mais qu’une minorité attend l’obligation scolaire (actuellement 5 ans), creusant déjà à ce stade certaines inégalités. Ce ne sont pas tant les connaissances et les apprentissages qui s’accumulent comme retard chez certains – souvent en difficulté économique – mais bien les habitudes, les codes scolaires, la socialisation et tout ce qu’elle entraîne dans son sillage.

Pour une gratuité réelle

La lutte contre les inégalités, c’est aussi le combat pour une réelle gratuité scolaire. Aujourd’hui, celle-ci est coulée dans la Constitution. Pourtant, elle est loin d’être une réalité : cantines, garderies, matériel, voyages, caisses de classe… Si les maternelles sont quasi gratuites (env. 280 €/an), on grimpe à une moyenne annuelle de 1 225 € en primaire, 1 550 € dans le secondaire général et près de 2 300 € dans l’enseignement technique et professionnel (selon un sondage de la Ligue des familles en 2015-2016). Cette problématique est une affaire de sous et doit évidemment s’envisager au regard de la réalité financière et institutionnelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais gardons en tête qu’elle fonde le terreau des inégalités. La réflexion doit continuer en ce sens et il faudra se montrer toujours plus créatif (plafonnement des coûts scolaires, centrales d’achats, complémentarité entre pouvoir organisateur et pouvoir régulateur, projets pilotes…) pour tendre progressivement vers la gratuité réelle.

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Combler le fossé numérique

La crise sanitaire nous a également mis devant d’autres inégalités : les conditions pédagogiques et matérielles à domicile. L’enjeu de l’école numérique doit être pris à bras-le-corps dès à présent sous toutes ses facettes : équipement des classes, mais aussi à domicile pour les élèves en situation de précarité. Dans l’enseignement obligatoire et supérieur, disposer d’un ordinateur portable et d’un endroit calme n’est pas une réalité pour chacun. L’un des défis de ces prochaines années sera notamment que chaque élève ait accès à du matériel de qualité. À défaut, ces disparités accentueront les asymétries d’apprentissage, qui se doublent fréquemment chez les plus petits d’une absence de soutien pédagogique des parents.

La nécessité d’un horizon commun

La crise sanitaire aura mis en exergue toute l’absurdité et la concurrence entre réseaux, pouvoirs organisateurs et établissements : mesures sanitaires et jours de rentrée différents, non-respect des circulaires… Comme le souligne Fred Mawet, secrétaire générale de l’ASBL Changements pour l’égalité, « ce miroir grossissant du confinement fait une fois de plus prendre conscience de l’immense chemin qu’il y a à parcourir pour converger – au-delà des réseaux et des pouvoirs organisateurs – vers une école commune qui cherche à construire de la cohérence et de la qualité pédagogique pour tous en acceptant de démonter les logiques de distinction et de concurrence afin d’investir dans la solidarité à tous les étages – entre les réseaux, entre les écoles, entre les enseignants et entre les élèves –, toutes conditions indispensables pour mettre en œuvre un tronc commun ». Le Pacte pour un enseignement d’excellence est en effet censé offrir un horizon commun pédagogique. Il doit être soutenu, mais ne pourra résoudre seul les problèmes d’inégalité.

Enfin, l’école de demain doit résolument illustrer les combats actuels pour l’égalité et lutter contre les discriminations et le harcèlement liés au genre, au sexe, à la couleur de peau, à l’origine ethnique, au handicap ou encore à la religion. À cet égard, un vrai cours de deux heures d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté pour tous les élèves en lieu et place des cours de religion ou de morale serait salutaire. Cela passe alors par les cours, par la prévention, par l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS), par la sensibilisation, mais aussi par les infrastructures scolaires plus inclusives et moins « masculinistes », la mixité sociale, et la déconstruction de tous les préjugés. En classe et dans la cour de récré donc, mais également en dehors de l’école, c’est-à-dire dans la rue, là où les enfants se nourrissent de l’exemple des adultes.

L’école de demain, c’est d’abord celle qui aurait dû exister depuis hier  : une école unique, gratuite, publique. Une école où les inégalités s’effacent progressivement jusqu’à disparaître totalement, où l’objectif n’est pas de former des adultes capables de produire, mais où les enfants s’épanouissent, développent leur esprit critique et deviennent des citoyens attachés aux valeurs démocratiques.


1 Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, éditions de Minuit, 1970.