La Finlande caracole depuis des années en tête du classement PISA. Son enseignement, public et gratuit, repose sur un tronc commun jusqu’à 16 ans et fait la part belle aux pédagogies innovantes. Faut-il pour autant copier-coller le modèle finlandais ? Pas si sûr… Chez nous, la diversité d’influences en matière pédagogique semble tout aussi prometteuse.
En 2018, un rapport de l’ONU sur le bonheur mondial classait les Finlandais en tête des peuples les plus heureux du monde. Et si la recette du bonheur s’apprenait dès l’école ? C’est qu’en matière d’enseignement, ce pays nordique endosse souvent le rôle de premier de classe. En ce qui concerne les résultats d’abord : le système scolaire finlandais occupe systématiquement les premières places du classement PISA (Programme for International Student Assessment), un test réalisé tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les trente-quatre pays membres de l’OCDE, qui évalue les performances scolaires dans trois matières (lecture, mathématiques et sciences) ainsi que le degré d’inégalité scolaire entre élèves favorisés et défavorisés.
La Finlande excelle sur les deux tableaux : les performances et l’égalité scolaires. L’enseignement est public et gratuit jusqu’au doctorat, les écoles privées inexistantes. Peu avant l’âge de 7 ans, chaque enfant est automatiquement inscrit dans l’école de son quartier, les parents en sont avertis par e-mail. Un principe qui permet de garantir une certaine mixité sociale – si tant est que le quartier en question soit socialement hétérogène – et qui n’est pas sans rappeler ce que tente d’accomplir chez nous, en dépit de nombreux travers et oppositions, le fameux décret inscriptions.
Redoublement quasi absent
Le cursus scolaire finlandais est découpé en treize classes. Les neuf premières regroupent l’enseignement dit « fondamental » : entre 7 et 16 ans, chaque élève finlandais se voit enseigner le même tronc commun, dans lequel se côtoient matières intellectuelles et cours pratiques. Une grande homogénéité caractérise le réseau scolaire finlandais : la même pédagogie est appliquée dans chaque établissement, d’Helsinki à Oulu en passant par Tampere. Les élèves se forment notamment aux techniques du bois et du métal, aux travaux textiles, à l’enseignement ménager, au sport et aux arts plastiques. Ce n’est qu’à partir de 16 ans et l’entrée au lycée que les élèves sont susceptibles d’emprunter des chemins divergents, en poursuivant la voie de l’enseignement général ou en optant pour celle du professionnel.
Comme la durée d’exposition au soleil en hiver, les journées d’école sont très courtes en Finlande. En primaire, les cours s’arrêtent vers 13 heures. Les élèves finlandais détiennent ainsi le record du minimum d’heures de cours de tous les pays de l’OCDE. Autre particularité du système : les devoirs à la maison sont l’exception plutôt que la règle, afin de permettre aux enfants de se consacrer à des activités ludiques, sportives ou artistiques. Les notes sont interdites avant l’âge de 12 ans et si le redoublement n’est pas interdit par la loi, il n’est pratiquement jamais imposé en Finlande.
Prof : un métier qui fait rêver
À quand remonte la recette gagnante du peruskoulu (nom du système éducatif finlandais obligatoire) ? C’est dans les années 1970 qu’une série de réformes innovantes a vu le jour, visant à doter chaque petit Finlandais des mêmes chances de poursuivre des études et de les réussir. L’éducation est ainsi devenue gratuite pour tous, une gratuité à entendre dans son sens le plus large : le matériel scolaire, la cantine et les transports ne coûtent pas un euro aux parents d’élèves finlandais. Chaque école dispose en outre d’un médecin, d’un assistant social et d’un psychologue, ainsi que d’un « professeur spécialisé » chargé du suivi et de la remédiation, tout au long de l’année, des élèves en difficulté.
Pour le psychopédagogue Bruno Humbeeck, c’est là l’un des grands points forts de l’école finlandaise : « Les remédiations sont mises en place très tôt et très rapidement en Finlande. C’est un élément positif dont on devrait s’inspirer en Belgique. » Le chercheur en sciences de l’éducation à l’UMons applaudit aussi la valorisation de l’estime de soi des élèves, valeur centrale de l’école finlandaise : « L’enfant n’a pas peur de poser des questions. À un petit Finlandais qui rentre de l’école, ses parents demandent : “Quelle bonne question as-tu posée aujourd’hui en classe ?” Au petit Wallon, on demande : “Est-ce que tu as bien travaillé ?”. »
Les élèves seraient également davantage responsabilisés au sein du modèle finlandais, obéissant « non pas à des personnes mais à des règles, bien fixées et partagées ». Une responsabilisation qui n’entrave toutefois pas la figure de l’enseignant, socle solide et central du système éducatif finlandais. Les profs y sont parmi les mieux payés d’Europe. Résultat : aucune pénurie d’enseignants à déplorer. L’enseignement est l’une des carrières les plus populaires chez les étudiants finlandais, devant la médecine, le droit et l’architecture. Enfin, tous les enseignants finlandais détiennent une maîtrise en éducation et un grand nombre d’entre eux poursuivent même jusqu’au doctorat. « Le statut et le prestige de l’enseignant y sont très importants et font clairement défaut chez nous. On l’a d’ailleurs constaté pendant le confinement : les parents se sont enfin rendu compte qu’enseigner était un vrai métier, et que leurs enfants n’étaient pas toujours si faciles à vivre. Les profs auront sans doute gagné en reconnaissance », avance Bruno Humbeeck.
Mixologie de pédagogies
Mais les bonnes notes du modèle finlandais s’arrêtent là, pour le psychopédagogue. « Personnellement, je ne suis pas un grand fan des méthodes nordiques », prévient-il. C’est que le concept de « performance scolaire », mesuré par les enquêtes PISA et auquel excelle la Finlande, est à manier avec prudence : « PISA ne mesure qu’une partie de l’efficacité d’une pédagogie. Il n’évalue pas le bien-être des élèves ou encore leur capacité d’esprit critique. PISA ne doit pas devenir un baromètre de la qualité de l’enseignement. Par ailleurs, les pays nordiques ont peut-être des écoles très performantes, mais ils enregistrent aussi un taux de suicide plus important que partout ailleurs en Europe. À côté de cela, vous avez les Italiens de Naples, qui figurent tout en bas du classement PISA mais qui ont le taux de suicide le plus bas… »
Certes innovant et méritant, le modèle finlandais ne devrait donc pas nous faire pâlir de jalousie en Fédération Wallonie-Bruxelles. « Nos modèles pédagogiques sont loin d’être inférieurs au modèle finlandais », estime Bruno Humbeeck. « Mais, vu notre position géographique, ils sont sensibles à toute une série d’influences. Nous avons à disposition un mix de nombreuses pédagogies, et aucune n’a pour vocation de chasser les autres. »
Il en va de même pour les méthodes de pédagogie dite « active », souvent perçues comme synonymes de progrès et d’innovation dans l’enseignement. Ces méthodes sont très ancrées au sein de l’école finlandaise. Ailleurs, et notamment en Belgique francophone, leur influence percole de plus en plus : « Il est très intéressant de voir que les pédagogies actives et libertaires (qui acceptent la critique, encouragent la mise en débat des élèves) sont de plus en plus intégrées dans l’enseignement dit traditionnel », observe le psychopédagogue. Là encore, estime-t-il, c’est l’union qui fait la force : « La mixologie, c’est l’art de la pédagogie. C’est ainsi que l’on peut s’adapter à la diversité des publics que l’on accueille. Si vous ne faites que de la pédagogie active, les enfants de familles “bobo” vont s’y retrouver, mais ceux de milieux plus précaires seront défavorisés. Leurs familles sont souvent moins aptes à les soutenir scolairement, ils ont donc davantage besoin d’un programme solide, d’un cadre plus traditionnel. »
Le spécialiste appelle en outre les historiens de la pédagogie à « déboulonner les statues de la pédagogie (Montessori, Freinet, etc.) qui empêchent de voir les autres » : « Il ne faut pas chercher ailleurs ou dans une autre époque un modèle à plaquer tel quel à notre système d’enseignement. Les outils pédagogiques doivent être adaptés aux réalités que l’on vit et aux époques que l’on traverse. » Une conclusion aussi valable pour le modèle finlandais : « Ses qualités ne se trouvent pas dans une certaine façon d’organiser l’enseignement qu’il conviendrait de dupliquer, mais plutôt dans les méthodes pédagogiques insufflées, comme la collaboration dans le travail, l’implication de l’élève, les remédiations… »