Espace de libertés | Septembre 2020 (n° 491)

Le petit garçon et la barbarie


Des idées et des mots

Écrire sur la Shoah est, on le sait, tâche bien difficile. Dessiner l’horreur d’un camp d’extermination, créer une BD sur ce thème, est encore plus complexe. Il faudra attendre la fin des années 1970, lorsque Art Spiegelman, figure du mouvement Underground américain, publie Maus, afin que pour la première fois la Shoah devienne le sujet principal d’une bande dessinée. L’ouvrage est publié en deux volumes en 1986 et 1991. L’accueil est unanime, et pour cause : outre changer la perception de la Shoah dans la bande dessinée, Maus constitue une révolution esthétique de premier plan qui va profondément modifier le regard porté sur la BD. La porte est ouverte et de nombreux auteurs aborderont le sujet. Stephen Desberg est de ceux-là, car il sait depuis qu’il a 10 ans – l’année où il a visité le camp du Struthof en Alsace – qu’il devrait un jour, à son tour, témoigner afin que jamais la mémoire ne s’efface. Pour y arriver, pour enfin oser écrire sur le génocide, Desberg devra franchir des étapes. D’abord, il publie en 1990 La 27e Lettre dessinée par Will qui traite de la montée du nazisme. Puis ce sera la série Sherman (huit albums entre 2011 et 2018) dessinée par Griffo qui aborde le thème de la spoliation des biens juifs. En 2017, alors qu’il séjourne en Pologne afin de présenter d’autres publications, il franchit les grilles d’Auschwitz. De retour, il ose enfin écrire. Son scénario nous entraîne dans les pas de ce petit garçon à qui la vie souriait, et qui croyait que les anges le protégeaient. Un petit garçon qui devient un jeune homme et sera déporté dans l’enfer d’Auschwitz tout en continuant à croire à la protection des anges. Un petit garçon dont l’anonymat permet de ne pas suivre seulement son histoire, mais de témoigner de la souffrance de millions. Superbement dessinés par Emilio Van der Zuiden, les traits sont efficaces, dépouillés et magnifiquement colorés en pastels et dégradés (Fabien Alquier à la coloration), l’album se construit couche après couche, n’omettant rien, n’éludant aucune question. Un récit qui accroche, nous entraîne, nous émeut, nous fait ressentir l’impossible jusqu’à nous offrir, dans une sorte de postface contemporaine, une lueur d’espoir. (ald)