Espace de libertés | Janvier 2021 (n° 495)

Et demain, quelles formes prendra le travail ? (Delphine Pennewaert)


Opinion

Difficile d’en prévoir les conséquences à long terme sur la santé mentale, notamment dans la sphère du travail. Mais une chose est sûre : pour tout le monde, d’une manière ou d’une autre, la situation est éprouvante. Delphine Pennewaert, thérapeute spécialisée en psychologie de crise et du travail, consultante en gestion psychosociale des événements traumatiques au sein de Crisalyence et chargée de cours à l’ULB dans le cadre du certificat en Victimologie et Psychotraumatologie, donne son point de vue sur la question.


« Ce que nous vivons est une crise qui nous touche, parce que nos systèmes ont été mis en faillite. L’événement Covid dure, contrairement à d’autres plus ponctuels (un accident, une catastrophe), la crise se prolonge également, ce qui épuise nos ressources tant individuelles que sociales et génère un impact chronique. Les personnes qui font le mieux face à un événement critique sont celles qui puisent dans les ressources qu’elles avaient en amont, et, durant la crise, dans celles qui sont activables. On s’appuie habituellement sur trois choses dans la vie  : sur notre psychologie personnelle, sur nos liens sociaux et sur tout ce qui nous dépasse à un niveau macrosocial, comme les institutions dans lesquelles nous travaillons, l’État, la structure familiale. L’une des difficultés réside aussi dans la possibilité d’entrevoir de l’espoir, de se référer à une croyance positive. Et ce manque de perspective crée du stress et peut accroître l’anxiété. Quant aux répercussions à long terme, ce que je note à partir de mon expérience, c’est qu’en phase aiguë – et celle que nous traversons persiste –, la vision est connotée en fonction de l’entourage immédiat. Mais, à moyen et à long terme, on relève une forte capacité de résilience chez l’être humain, pour autant que certains besoins soient pris en compte, comme les soins et la protection. Dans des situations difficiles, c’est souvent le respect des besoins primaires qui est le plus important, et le fait de renforcer le partage avec les personnes qui peuvent comprendre, ce qui passe souvent par les pairs, et notamment par une hiérarchie empathique. On constate que, sur les lieux de travail où il y avait déjà de l’écoute et de l’empathie avant la crise, les personnels sont plus résilients que là où ce n’était pas le cas et où il y avait déjà des dysfonctionnements institutionnels. C’est cela qui fera résilience au travail. L’un des aspects salutaires des crises, c’est lorsque l’on regarde non seulement les failles, mais aussi les ressources que nous possédons. Avec la généralisation du télétravail se pose tout d’abord la question de la présence à l’autre. Ce qui ne signifie pas toujours être présent au bureau. Il y a une réflexion à mener sur la manière d’exercer son rôle professionnel, qu’on le fasse derrière un écran ou en présentiel. Ensuite, on peut s’interroger sur la flexibilité et sur sa mise en œuvre  : est-ce si important, finalement, que les travailleurs pointent de 9 à 17 heures, qu’ils soient physiquement là, quand on sait qu’ils peuvent être psychologiquement absents à certains moments ? La question de la présence et de l’efficacité est reposée autrement par cette crise. » (vc)