Espace de libertés | Novembre 2014

Des politiques pour dépasser les stéréotypes


Dossier

Alors que le monde démocratique s’apprête à célébrer les 20 ans de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing (1) en 1995, il faut saluer les nombreuses avancées législatives, bien que l’on constate encore de trop nombreux reculs en matière des droits des femmes.


Comme le rappelle le Lobby européen des femmes (2), l’Union européenne devrait être une force motrice pour les législations sur l’égalité homme/femme et inspirer les États membres en la matière. L’égalité entre les femmes et les hommes est une valeur fondamentale de l’UE et de ses États membres, cependant, cet engagement ne se traduit pas toujours dans la réalité. Alors que depuis des années, le Parlement européen joue un rôle important dans la sensibilisation à l’égalité homme/femme et à l’autonomisation des femmes, les États membres ont clairement empêché l’adoption d’objectifs ambitieux et de législations sur les droits des femmes. Malgré que le gender mainstreaming eût été adopté en tant que stratégie fondamentale qui touche à toutes les politiques de l’UE, la réalité démontre qu’il n’est pas mis en œuvre dans de nombreux domaines et n’est toujours pas considéré comme une priorité. Le mythe de «l’égalité étant acquise» en Europe, encore très prégnante empêche l’égalité d’être un objectif autonome au sein de l’UE.

Rose et bleu

L’absence de stratégie globale démontre que l’égalité des sexes n’est pas suffisamment prise au sérieux.

Si certaines mesures ont été prises dans l’un ou l’autre domaine, l’absence de stratégie globale démontre que l’égalité des sexes n’est pas suffisamment prise au sérieux. C’est dans ce contexte que la plupart des politiques de l’UE ne prennent pas en compte les besoins des femmes et des filles.

Nous constatons également la persistance de stéréotypes, dans toutes les sphères de la société qui, par exemple, façonnent les jouets pour garçons et filles (bleu et rose…), influent sur les choix de filles dans l’enseignement, empêchent les femmes d’accéder à certains emplois, ont une incidence sur la santé des femmes et des filles, légitiment la violence quotidienne et le sexisme, véhiculent des messages sur le rôle des femmes dans la société, etc.

La paix, la justice et le développement durable ne peuvent être atteints si la moitié de la population reste discriminée.

Or, il ne s’agit pas seulement de garantir les droits légaux –première étape indispensable– mais également de sensibiliser au changement radical et nécessaire des mentalités pour parvenir à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, cette évolution des mentalités reste le défi le principal qui nécessite une action politique déterminée pour aboutir à un réel changement à tous les niveaux. Il est temps de comprendre que la paix, la justice et le développement durable ne peuvent être atteints si la moitié de la population ne profite pas pleinement ses droits et reste discriminée.

De nombreux domaines nécessitent encore des améliorations politiques et parfois législatives. J’en épinglerai quelque-uns.

Libre violence

La précarité: les inégalités en matière d’emploi (travail à temps partiel, les écarts de rémunération, etc.) jouent un rôle clé chez les femmes piégées dans le cercle infernal de la pauvreté, empêchant leur indépendance économique tout au long de leur vie et après au niveau des pensions. Les systèmes de protection sociale inadéquats (l’individualisation des droits entre autres) affectent également la situation des femmes dans et en dehors du marché du travail.

Concernant l’éducation et la formation: l’égalité d’accès à l’éducation n’est pas encore une réalité en Europe pour toutes les filles. De surcroît, un mouvement inquiétant de groupes conservateurs et religieux tente d’empêcher l’exécution de programmes sur l’égalité entre les femmes et les hommes, les droits de la femme et une éducation sexuelle et reproductive.

Sur le plan de la santé, je pointerai deux éléments qui posent toujours problème: le droit à l’avortement qui est attaqué dans nombreux pays de l’UE, et la contraception et l’éducation sexuelle qui ne sont pas disponibles dans tous les pays de l’UE. Ainsi que les liens entre la violence envers les femmes, y compris la violence sexuelle et/ou dans la prostitution, et la santé des femmes qui doivent être reconnus de toute urgence. Ces violences conduisent à de graves problèmes, tels que le stress post-traumatique, la dépression, les comportements à risque ou les maladies sexuellement transmissibles.

Concernant les violences envers les femmes, l’UE ne s’est dotée d’aucun instrument juridiquement contraignant, afin de mettre fin ou de prévenir les violences envers les femmes et les filles. Les États membres de l’UE luttent de façon très disparate, allant de l’absence de reconnaissance à un cadre de politique générale fondé sur une analyse féministe des relations de pouvoir entre les sexes dans nos sociétés. Les femmes et les filles ne sont donc pas également protégées dans l’UE, et l’absence du cadre européen de lois et des politiques harmonisée a des conséquences importantes sur la capacité des femmes de résister et de survivre à la violence masculine. Dès lors les violences contre les femmes restent invisibles et sous-estimées et les agresseurs souvent impunis.

Des progrès, mais…

Les femmes dans le processus de décision: au taux actuel de progression, il faudra près de 40 ans pour atteindre la parité. Les préjugés quant aux rôles et capacités des femmes constituent l’obstacle le plus important, suivi de près par un manque de modèles féminins adaptés. Au plus haut niveau de la prise de décision en matière financière européenne, on est toujours à 100% d’hommes!

L’évolution des mentalités reste lente et le sexisme présent, voire banalisé.

En Belgique, la mise en œuvre du gender mainstreaming, doublée d’actions a bien évolué dans certains domaines (par exemple, les lois sur la parité des listes électorales, la lutte contre la violence à l’égard des femmes désormais ancrée dans le paysage institutionnel, la lutte contre l’écart salarial, un meilleur engagement en matière de santé et, en particulier, de santé sexuelle et reproductive…) et en près de 20 ans, de nombreuses législations ont été adoptées en la matière ainsi que des politiques structurelles et coordonnées, notamment en matière de gender mainstreaming et de lutte contre les violences à l’égard des femmes.

Mais l’égalité, on n’y est pas et cela nécessite encore un important travail de sensibilisation, de coordination. Il faut fournir des efforts particuliers dans certains domaines tels que l’accroîssement du nombre de femmes sur le marché du travail: elles ne sont pas assez dynamiques et trop de femmes restent cantonnées dans le temps partiel, le crédit-temps ou les emplois subalternes. Les emplois dits «féminins» sont toujours moins bien rémunérés et l’écart des pensions s’accroît augmentant dramatiquement la précarité des femmes. Des mesures ont été adoptées depuis 1995 pour permettre une meilleure conciliation vie privée/professionnelle mais le nombre de places d’accueil en crèche reste beaucoup trop bas. La lutte contre les stéréotypes fondés sur le genre reste trop timide, tant dans les médias que dans les politiques.

La mise en œuvre du gender budgeting est particulièrement difficile et connaît des résistances à tous niveaux, et la plupart des budgets ne sont pas encore réellement genrés. Des statistiques ventilées par sexe dans tous les domaines sont également indispensables pour mettre cette stratégie en œuvre concrètement.

On le voit, même si la société est plus égalitaire dans une série de domaines, si le cadre législatif progresse petit à petit, l’évolution des mentalités reste lente et le sexisme présent, voire banalisé. Face aux nombreux reculs, il faut rester vigilant-e-s en matière d’égalité homme/femme et des droits des femmes, qui bien qu’elles sont la majorité de la population, elles restent une minorité politique.

 


(1) Il visait à mettre en lumière les violations structurelles d’inégalités et celles des droits de l’homme rencontrées par toutes les femmes et les filles de la planète et définissant les terrains d’actions concrètes à réaliser pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes.
(2) Le LEF est la plus grande coupole d’associations de femmes dans l’UE avec plus de 2 000 organisations membres. Son action porte sur la promotion des droits des femmes et de l’égalité des sexes au sein de l’UE. Extraits de Lobby européen des femmes, 1995-2015: 20 years of the Beijing Platform for Action. From words to action , septembre 2014.