Lutter contre les inégalités hommes-femmes passe aussi par l’éducation. Un constat simple et a priori évident pour certaines personnes. Pour d’autres, une lutte dépassée par les énormes progrès réalisés dans ce domaine ces dernières décennies.
Et pourtant, au-delà de la normalisation des écoles mixtes (en ce qui concerne la mixité de filles-garçons, en tout cas), nous pouvons légitimement interroger la persistance des stéréotypes sexués à l’école. Dans une société qui dit vouloir favoriser un enseignement d’égale qualité et de traitement pour tous, l’inégalité entre filles et garçons est toujours bien présente au même titre que d’autres assignations. Et comme les autres inégalités, elle a un impact sur chaque individu et donc sur le modèle de société que nous souhaitons défendre.
Lourd héritage
Le politique s’est depuis longtemps attaqué aux discriminations à l’école, au combat contre les inégalités sociales; la réussite pour tous est un slogan, mais peut-on y entendre «toutes et tous»? En réfléchissant aux discriminations à l’école, les questions liées aux genres ne sont pas forcément celles qui nous viennent d’emblée à l’esprit.
Elles sont pourtant réelles, tant du côté des élèves que des enseignants, les plans gouvernementaux supposés lutter contre les inégalités de genres en sont la preuve. Mais l’école est malheureusement un lieu privilégié de reproductions sociales. Et selon ce principe de reproduction, les jeunes générations sont les héritières des précédentes… il en va donc de même pour les jeunes filles! Qu’entend-on par là?
De nombreuses recherches récentes mettent en évidence que les filles réussissent mieux à l’école que les garçons, et ce, depuis l’école primaire. Elles sont, d’ailleurs, plus nombreuses à entreprendre des études supérieures ou universitaires. Mais si l’on y regarde de plus près, elles ne choisissent pas n’importe quelles filières! Alors qu’elles auraient la possibilité de tout entreprendre, la plupart d’entre elles choisissent de s’orienter vers le soin à la personne ou l’éducation. Héritières donc…
Partant du constat que dès notre plus jeune âge, nous nous identifions aux adultes qui nous entourent, que dire du message implicite envoyé aux enfants qui croisent, depuis tout petits, dans leur scolarité, une majorité de femmes? De ce qu’ils peuvent observer du rapport hiérarchique au sein de l’école (Madame l’institutrice, Monsieur le directeur)? Que dire des femmes qui aujourd’hui travaillent, certes, mais qui, à en croire les jeux et paroles d’enfants ou même de nombreux manuels scolaires, continuent d’assurer une grande partie des tâches ménagères?
Un modèle bien ancré
Toute cette construction identitaire prend donc sa source dans la prime enfance, dans le processus de socialisation. Nous nous identifions à ce que nous observons dans nos familles, mais aussi à ce que nous renvoient les personnes chargées de nous éduquer et de nous instruire, à ce qu’elles choisissent de nous faire lire, à la manière dont elles s’adressent à nous.
Réfléchissons: combien de fois n’avons-nous pas entendu (ou même peut-être dit): «Mais comme elles sont bavardes, ces filles!», «Comme les garçons sont bagarreurs!» Observons: une cour d’école, les garçons occupant tout l’espace du terrain de foot, les filles jouant à l’élastique au bord de ce même terrain. Analysons: dans un manuel scolaire de français: «Ta maman prépare une bonne tarte. Papa utilise un râteau pour ramasser les feuilles.» Tous ces exemples, loin d’être issus des temps anciens, sont d’actualité… Et loin d’être anodins, ils contribuent à façonner un peu plus chaque jour l’identité de chaque enfant, fille ou garçon.
Nous sommes les héritiers et héritières de ce que notre entourage véhicule, souvent inconsciemment.
Que ce soit dans le choix des jeux et des jouets, dans le matériel mis à disposition des enfants, dans l’utilisation qu’ils peuvent faire de ce même matériel, dans les paroles prononcées, dans les questions renvoyées à la classe, dans les exemples choisis dans les manuels scolaires… rien n’est anodin! Nous sommes les héritiers et héritières de ce que notre entourage véhicule, souvent inconsciemment.
En serait-il autrement si, convaincus de la nécessité de construire une société égalitaire ou chacune et chacun pourraient trouver leur place (choisie par la force de son libre arbitre, sans subir d’assignation, sans déterminisme social d’aucun type), les adultes chargés de notre éducation observaient les enfants autrement qu’en fonction des qualités supposément attribuées à leur sexe, mais bien pour ce qu’ils sont, encourageant leurs rêves, quels qu’ils soient? Et qu’en serait-il si, convaincus, ces mêmes adultes agissaient autrement?
Il est difficile de traduire en mots des postures éducatives mais il est toutefois utile de faire appel au principe de neutralité qu’implique tout métier lié à l’éducation. Selon ce principe, tout adulte ayant pour mission d’éduquer des enfants se doit d’être impartial, neutre. Il ou elle ne peut ni exprimer, ni faire appel à ses convictions personnelles dans l’exercice de sa profession sous peine d’influencer les jeunes qui lui sont confiés. Par conséquent, l’adulte doit considérer chaque enfant dont il a la responsabilité avec la même attention, la même qualité de relation.
Déconstruire les stéréotypes
Partant de ce postulat, pouvons-nous en conclure que prévoir un module spécifique dans le cadre de l’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle (ÉVRAS) dans l’enseignement secondaire suffit à déconstruire les stéréotypes sexués et les assignations qui en découlent? Bien que cette initiative, prise récemment, permette certainement d’aborder de manière plus sereine (et dans la tête) certains aspects de la vie des adolescent-e-s à un moment crucial dans leur construction identitaire, il n’en reste pas moins que tout adulte chargé de l’éducation des enfants et des jeunes devrait être sensibilisé plus largement à l’égalité des genres.
Lutter contre les stéréotypes et les assignations nécessite une remise en question globale. Il ne s’agit pas juste de discourir sur l’égalité entre hommes et femmes, il s’agit de réfléchir son propre parcours et par là de faire évoluer ses propres attitudes éducatives. Être conscient de l’existence de cette problématique est une première étape, agir en conséquence quotidiennement est la seconde. Penser l’éducation au-delà des programmes, réfléchir ce que l’on met entre les mains des enfants, travailler ses prises de paroles, déconstruire ses a priori, permettre aux femmes d’exercer n’importe quel métier, qu’il soit considéré aujourd’hui «d’homme» ou «de femme» et inversement… Bousculer les codes établis en somme.
La question dont il s’agit est culturelle et ne peut trouver d’issue uniquement dans des cours déclaratifs à potentiel effet de prise de conscience. Cette question doit s’inscrire dans la vie des personnes, de manière transversale, au travers de leurs activités, de leurs pensées, de leurs sens… Déconstruire les stéréotypes et les assignations sexuées implique une approche qui questionne le modèle de société que nous souhaitons développer à la fois au sein de l’école et en dehors.
Pour paraphraser encore Simone de Beauvoir, il faudrait aussi dire: «On ne naît pas homme, on le devient.» Autoriser, par sa posture éducative, chacune et chacun à réfléchir son identité autrement qu’en fonction de son sexe reste donc définitivement un combat à mener.