Espace de libertés | Novembre 2014

Égalité, mixité, même combat


Libres ensemble

En septembre, au terme d’une journée de débat destinée à lancer la campagne «Pas d’égalité sans mixité», s’imposa l’urgence de faire cesser toutes les discriminations. Au-delà des discours, il faut passer aux actes, dans la vie de tous les jours.


Dominant la salle des congrès du Palais des Beaux-Arts de Charleroi, une fresque de René Magritte interpelle les publics qui, depuis 1957, se relaient en ce lieu. Une femme occupe la partie centrale de cette frise monumentale. Élever le regard vers cette œuvre incitait à la méditation, alors que l’assemblée réunie à Charleroi par le Centre d’Action Laïque réfléchissait sur le thème «Pas d’égalité sans mixité». Car ce sont l’art, l’éducation, l’échange d’expériences et la confrontation des idées qui font évoluer les mentalités.

Au terme de la campagne, le CAL «souhaiterait adhérer à la charte Millenia 2015 de la Plateforme internationale droits des femmes, défendant l’égalité sous le signe de la mixité», a indiqué Stéphanie Gosek, directrice de la régionale de Charleroi. Éliane Deproost, secrétaire générale, dit que pour la laïcité, «l’égalité est une valeur fondamentale». Quant à la mixité, elle exige des efforts constants, en ces temps confus où, à Paris, récemment, des milliers de gens ont défilé contre le mariage pour tous, signe d’un retour à une forme d’obscurantisme.

Pour l’individualisation des droits sociaux

À la fin d’une journée intense, les conclusions qui suivirent les interventions de spécialistes alimentées par les questions d’un public concerné réaffirmèrent la nécessité de s’engager, hommes et femmes étant unis.

Susanne Wolff, professeure de psychologie clinique à l’UCL et dramaturge, insista sur la nécessité de tenir compte de l’inconscient. Les différences entre les sexes ne sont pas une illusion. Quant à la lutte pour l’égalité des femmes, elle n’est autre que le combat des libertés individuelles.

Pour le président du CAL, Henri Bartholomeeusen, si le féminisme est un combat porté par les femmes, elles ne peuvent le mener seules. La valeur prépondérante étant l’égalité, la mixité serait un des moyens permettant d’y arriver. L’urgence est de faire cesser toutes les discriminations. L’égalité salariale entre les hommes et les femmes n’est pas accomplie. En Belgique, lutter pour l’individualisation des droits sociaux doit être une priorité. Une manière concrète d’amener plus d’égalité en passant par la mixité.

Acquis d’hier, perdus demain?

Lors de la première partie de la journée, cinq spécialistes avancèrent des faits à propos de la vigilance qui s’impose alors que des acquis sont remis en question. Bérangère Marques-Perreira, sociologue, enseigne en science politique à l’ULB. Elle est l’auteure du Dictionnaire genre et sciences politiques. Alexandra Adriaenssens, directrice chargée de mission au service «Égalité» de la Fédération Wallonie-Bruxelles a publié Une Fille=un garçon?. Albine Quisenaire, psychologue, préside la Maison plurielle de Charleroi et agit sur le terrain dans le domaine des violences faites aux femmes. Valérie Piette, docteure en histoire et professeure à l’ULB, poursuit des recherches notamment dans le domaine de l’histoire des femmes, du genre et des sexualités aux XIXe et XXe siècles. Professeur honoraire à l’ULB et juriste à la CGSP, Jean Jacqmain, spécialiste du droit des travailleurs, est le vice-président du Conseil de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Tous démontrèrent, exemples à l’appui, que l’égalité entre hommes et femmes traverse une période de turbulences. En 2014, l’influence des religions restreint les libertés des femmes. L’égalité des chances a peut-être gagné des points mais les résultats ne suivent pas vite. Exercer les droits des femmes reste un chantier en cours. En cas de licenciement, la situation de la femme enceinte a révélé que des lois sont mal appliquées, par méconnaissance, ou présentent des failles. La situation s’est débloquée mais c’est le symptôme d’un mode de pensée. Le monde politique n’intègre pas toujours les avancées du droit. Si l’égalité entre les hommes et les femmes est votée, elle ne règne pas dans tous les esprits.

Chaque jour, dans la publicité, l’image de la femme est détournée, exploitée, bafouée, malgré les discours bienséants. Défendre le droit à l’avortement est revenu dans l’actualité. Les féministes continuent de déranger car elles remettent en question des privilèges masculins. Combien de noms de femmes ayant contribué à l’humanité dans les manuels scolaires? Bien moins que ceux des grands hommes. Des personnalités comme Gabrielle Petit et Édith Cavell devraient être mises en lumière. Les femmes seraient-elles encore assez mobilisées pour défendre leurs droits? La vigilance s’impose. Une femme sur trois est victime de la violence conjugale. Se défendre est difficile dans un système où la victime doit prouver ce qu’elle subit. Arriver à l’égalité passe par la mixité et les luttes sont collectives. On cite Simone de Beauvoir… «On ne naît pas femme, on le devient.» La bonne formule ne serait-elle pas, «On ne naît pas humain, on le devient»?

lootvoet-verchevalValérie Lootvoet et Jeanne Vercheval pendant le débat: sourires et gravité.

Mixité, de la théorie à la pratique

En référence à la célèbre pièce de théâtre Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus, le plateau de l’après-midi traitait de «la planète mixité», avec Jeanne Vercheval, auteure et historienne, militante féministe engagée dans la vague des années 70. Formatrice pour le Cemea, Marie-France Zicot a publié Nos manuels scolaires sont-ils sexistes?. Valérie Lootvoet dirige l’Université des femmes. Viviane Teitelbaum préside le Conseil des femmes francophones de Belgique et le Lobby européen des femmes. Cinéaste et producteur, Patric Jean est engagé dans le combat pour l’abolition de la prostitution.

Comme en matinée, le débat emprunta de multiples voies. Aujourd’hui, les clubs de pouvoir ou même de non-pouvoir sont rarement mixtes. La mixité est-elle toujours bénéfique, alors que, dans une assemblée, les hommes s’imposent souvent, en conséquence de leur éducation? Les femmes ne sont-elles pas plus engagées, plus libres, quand les hommes sont hors circuit? Majoritaires dans la population, les femmes restent minoritaires en politique. Entre femmes, dans les années 60 et 70, la liberté de parole a permis de prendre conscience des discriminations. La mixité oui, mais pas dans les textes seulement. La mixité est un moyen.

Il faut avancer dans les domaines de l’éducation, dans les médias, dans le champ politique, pour défendre les droits des femmes. Cette lutte s’inscrit dans un contexte général où la loi du plus fort l’emporte, car c’est le mode de fonctionnement actuel de l’économie.

Dans l’éducation, la mixité serait de laisser tous les enfants, garçons ou filles, libres de ce qu’ils ou elles veulent faire. Jouer avec des autos ou des poupées. Aimer le rose ou le bleu. Leur laisser le choix, ne pas imposer de mode contraignant. Dans les médias, des séquences de publicité choquent et il semble que, malgré les filtres mis en place, les manquements se multiplient. Se demander pourquoi un homme, soucieux d’attention, traite sa compagne de «bébé» alors qu’elle règle cent problèmes par jour?

Il faut dénoncer les dérives. Résister aux rires de complaisance quand survient une blague sexiste. Un travail doit être mené, au quotidien, à tous les niveaux de la société. En politique, dans le domaine social, dans la vie quotidienne. Les femmes seules, confrontées au chômage souffrent. Comment, quand on est au chômage, aller travailler à temps partiel, en service coupé, alors que l’on ne peut payer ou même trouver une place dans une crèche ou acheter une voiture d’occasion? Allez donc prendre votre poste dans un supermarché périphérique, le matin, puis revenir l’après-midi, sans auto, alors que les transports en commun sont chers et insuffisants. En janvier 2015, les femmes seront en première ligne quand les nouvelles réglementations en matière de durée du chômage entreront en vigueur. Les CPAS l’ont dénoncé depuis longtemps. C’est une réalité de 2014 et il faut que cela change.