Présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme de 2007 à 2013, lauréate 2013 du prix des Nations unies pour la cause des droits de l’homme, Khadija Riyadi milite intensivement pour la libération des prisonniers politiques, la laïcité et la liberté d’expression au Maroc. Elle était récemment de passage au Centre d’Action Laïque. Rencontre.
Espace de libertés: Il est de tradition au Maroc que les citoyens récompensés sur la scène internationale dédient leur récompense au Roi. Vous avez, au contraire, décidé de dédier votre prix aux prisonniers politiques. Cet acte d’insoumission vous a-t-il causé des problèmes?
Khadija Riyadi: Rien que parce qu’ils luttent pour la liberté d’expression, tous les défenseurs des droits humains sont des insoumis. Comment pourrions-nous, en effet, encourager les gens à s’exprimer librement si nous ne le faisons pas nous-mêmes? Bien sûr, quand on défend les droits humains dans un pays non démocratique, comme le Maroc, où la religion est toujours instrumentalisée par le politique, où il y a beaucoup de répression, on doit s’attendre à tout. Mais la répression ne s’abat par sur nous par le simple fait de ne pas remercier le Roi lorsque nous recevons un prix international. C’est par contre souvent le cas quand on ose toucher à des sujets tabous, comme la fortune de la monarchie ou la séparation du politique et du religieux, par exemple.
Qu’est-ce qui a réellement changé au Maroc, en termes de liberté d’expression, depuis l’accession au pouvoir de Mohammed VI, en 1999?
Il faut rappeler qu’à la fin du règne de Hassan II (père de Mohammed VI, NDLR), nous avions déjà assisté à une certaine ouverture. Ainsi, en 1996, une nouvelle Constitution, qui pour la première fois reconnaissait le principe des droits de l’homme, est entrée en vigueur. Dans la foulée, plusieurs prisonniers politiques ont été libérés, une presse indépendante a vu le jour et les victimes des années de plomb ont commencé à réclamer des réparations pour les violences subies. Lorsque Mohamed VI est monté sur le trône, il a poursuivi cette ouverture. La presse parlait alors de «nouvelle ère». Mais il reste encore beaucoup de travail pour instaurer une véritable démocratie. Les responsables des violences des années de plomb sont toujours en place et il n’y a toujours pas eu d’enquête sur les nombreux cas de torture et de disparition d’opposants, notamment. Suite aux attentats terroristes de Casablanca en mai 2003, nous avons même assisté à un retour en arrière sur le terrain des libertés fondamentales.
Suite à son accession au pouvoir, Mohamed VI a initié une importante réforme du Code de la famille (Moudawana). Est-ce que cette réforme a amélioré le statut de la femme au Maroc?
Je pense que cette réforme contient plusieurs points positifs. L’épouse ne doit plus obéissance à son mari, les femmes peuvent se marier sans la présence d’un tuteur, le divorce se prononce désormais devant le juge sans que la femme doive justifier les raisons qui la poussent à en faire la demande et la répudiation n’est désormais plus possible. Mais malheureusement, on remarque que ce Code n’est toujours pas appliqué. Il faut aussi souligner qu’un certain nombre de discriminations sont toujours présentes. La femme ne peut hériter que de la moitié du patrimoine de l’homme, le père reste le tuteur légal des enfants en cas de divorce, même si c’est la mère qui en a la garde, il est toujours interdit aux femmes de se marier à un non-musulman alors qu’un homme peut se marier à une non-musulmane et, enfin, la polygamie n’est toujours pas abolie.
Il n’y a pas de démocratie sans laïcité, même si nous savons que la laïcité ne débouche pas automatiquement sur la démocratie.
L’Association marocaine des droits de l’homme défend la laïcité. Dans un pays où le Roi bénéficie du statut de «commandeur des croyants», est-ce réellement possible d’instaurer un État laïque?
Pour nous, il n’y a pas de démocratie sans laïcité, même si nous savons que la laïcité ne débouche pas automatiquement sur la démocratie. Nous militons donc pour que la nouvelle Constitution reconnaisse le principe de la séparation du politique et du religieux. Mais il n’y a pas que les islamistes qui instrumentalisent la religion au Maroc. La monarchie le fait aussi.
Vous avez le sentiment d’être soutenus par une majorité de Marocains dans ce combat?
On ne connaîtra la véritable opinion de la population marocaine que le jour où elle pourra s’exprimer librement et où nous pourrons avoir accès aux médias pour expliquer notre point de vue. Ce n’est pas le cas pour l’instant. Mais lorsque nous nous rendons dans les régions rurales pour expliquer aux gens ce qu’est réellement la laïcité, qu’il ne s’agit pas de s’attaquer aux musulmans pratiquants ni d’interdire l’islam comme le disent ceux qui cherchent à nous diaboliser, nous remarquons qu’ils sont ouverts à ce que nous leur disons.
Dans l’inconscient collectif des Marocains, la laïcité n’est-elle pas perçue comme une invention occidentale?
Contrairement à ce que certains semblent penser, la laïcité n’est pas étrangère à note culture. Dans la région amazighe (berbère, NDLR), par exemple, la personne qui est chargée d’enseigner la religion aux enfants, le Taleb, est rémunérée par les parents, pas par l’ensemble de la collectivité. Cette personne se limite à enseigner le Coran et elle n’intervient jamais dans les affaires publiques ou sociales qui concernent tout le village, comme les travaux collectifs, les conflits de voisinage, etc. La répartition des rôles est clairement définie. En fait, ce que nous revendiquons, c’est un retour à ces valeurs traditionnelles qui reconnaissent une véritable séparation entre les affaires publiques et les affaires religieuses. Nous n’avons pas attendu la colonisation pour connaître ce principe. Elle fait partie intégrante de notre culture et de notre histoire, mais la propagande d’État ne le dit pas. C’est pourquoi nous demandons à ce qu’un débat puisse être ouvert au Maroc au sujet de la laïcité.