L’interview du président du CAL Henri Bartholomeeusen, parue dans Le Soir du 4 octobre (1), a frappé les imaginations. Au-delà de la formule relative au modèle familial du gouvernement de Vichy, reprise avec délectation par les médias et les commentateurs, elle a eu le mérite d’éveiller l’attention de ceux qui n’ont pas lu, et ne liront jamais, le texte Instrumentum laboris (2) qui sert de base de travail au synode des évêques ouvert à Rome le 5 octobre.
On les comprend: ce n’est pas une partie de plaisir et le langage tout en nuances et en litotes que ses rédacteurs affectionnent est savamment conçu pour noyer le poisson de la curiosité des non-initiés.
Bras séculier
Or, comme le souligne Henri Bartholomeeusen, les discriminations prônées par ce texte, notamment à l’encontre de tout qui ne se conforme pas au modèle de la «famille chrétienne traditionnelle» (et ça fait du monde), si elles étaient mises en œuvre, amèneraient de nombreuses plaintes sur le bureau du Centre pour l’égalité des chances, voire sur le bureau de quelques juges d’instruction. La publication d’un tel document fait craquer le vernis «progressiste» qui enveloppe le pape François depuis son accession au «trône de Saint-Pierre». Et l’on comprend que ses thuriféraires se sentent gênés aux entournures lorsqu’ils clament leur indignation devant les propos du CAL. Quand le chanoine Beauduin, l’ancien directeur général du SeGEC (enseignement catholique) (3), s’offusque et clame que «contrairement au régime de Vichy, l’Église catholique énonce une doctrine sur la famille sans plus prétendre –il ne manquerait plus que ça– mettre le bras séculier à son service», il oublie un peu vite que c’est ce même bras séculier qui se met au service de l’école catholique en le finançant. Et quand Éric De Beukelaer ajoute que «l’Église défend sa vision sans l’imposer», il compte bien sur le fait que les lecteurs du Soir n’ont pas lu l’Instrumentum. Car il est écrit (article 138): «Les écoles catholiques, à leurs différents niveaux, jouent un rôle important dans la transmission de la foi aux jeunes et sont d’une grande aide pour la tâche éducative des parents. Elles recommandent qu’elles soient renforcées et soutenues par toute la communauté ecclésiale. Cela résulte particulièrement important (sic) dans les situations où l’État est particulièrement envahissant dans les processus éducatifs, en cherchant à évincer la famille de sa responsabilité éducative. En ce sens, l’école catholique exprime la liberté d’éducation, en revendiquant la primauté de la famille comme vrai sujet du processus éducatif, auquel les autres figures qui entrent en jeu dans l’éducation doivent concourir. On demande une plus grande collaboration entre les familles, les écoles et les communautés chrétiennes.» Si ça n’est pas imposer une vision, et qui plus est aux plus faibles, les enfants…
Sur les questions éthiques, les positions défendues par les évêques n’ont rien de novateur. Que faut-il déduire de cet extrait de l’article 65? «Dans des contextes culturels déterminés, la polygamie est désignée comme un des facteurs de désagrégation du tissu familial. S’ajoute à cela la fermeture de la famille à la vie. De nombreux épiscopats soulignent avec une grande préoccupation la diffusion massive de la pratique de l’avortement. La culture dominante semble par bien des aspects favoriser une culture de la mort par rapport à la vie naissante. Nous nous trouvons devant une culture de l’indifférence face à la vie. Parfois les États ne contribuent pas assez à protéger les liens familiaux, adoptant des législations qui favorisent l’individualisme. Tout cela créé parmi les gens une mentalité superficielle sur des thèmes d’une importance décisive. Bon nombre d’interventions soulignent qu’une mentalité contraceptive caractérise de fait et négativement les relations familiales.»
Indignation
Quelques remarques: rappelons que la polygamie existait bien avant l’Église catholique et qu’elle est toujours bien vivace au sein de certaines civilisations, que cela plaise ou non aux évêques. Sans doute confondent-ils encore «évangélisation» et «colonisation».
On retrouve la méthode sémantique du présupposé présenté comme vrai.
Que dire de la dépénalisation de l’avortement, qui sauve chaque année la vie de dizaines de milliers de femmes? Les évêques parlent de «fermeture à la vie» et de «culture de la mort», qui créent une «culture superficielle sur des thèmes d’une importance décisive». On retrouve la méthode sémantique du présupposé présenté comme vrai, feignant d’ignorer ce que tous les gens informés savent parfaitement bien: à savoir, que c’est précisément la possibilité de pratiquer des avortements dans le cadre d’un accompagnement psychologique poussé et médical soigné qui empêche les avortements clandestins, qui ont toujours existé et qui existent toujours dans les pays où l’interdit subsiste, et laissaient les femmes dans un état de détresse psychique et sanitaire catastrophique. Si c’est ça qu’on entend par «culture de la vie», il y a un léger souci.
Dans les protestations indignées des membres du clergé, qui entre parenthèses font rarement écho aux nombreux mouvements cathos progressistes tels Golias ou Catholics for Choice, la palme de la mauvaise foi (un comble) revient au père Tommy Scholtes, porte-parole de la Conférence épiscopale belge (4): «Heureux de voir que M. Henri Bartholomeeusen a trouvé un intérêt à lire les documents qui préparent le synode. À moi, comme chrétien, il ne m’a jamais demandé de faire des commentaires sur des travaux en cours au sein de la laïcité organisée.» Bien vu! Personne ne nous a demandé non plus de lire l’Instrumentum laboris, document publié par le Vatican sur son site public et auquel les médias font un large écho. Et personne ne l’empêche de lire les nombreux documents sur les travaux menés au sein de la laïcité organisée publiés sur le site www.laicite.be. Et M. Scholtes, il est le bienvenu pour venir participer à nos travaux lors des nombreuses conférences, soirées, rencontres organisées par la laïcité. À l’image de son chef, l’archevêque André Léonard, qui a pris le temps de venir participer à un atelier lors de notre dernière convention à Bruxelles il y a deux ans.
(1) Béatrice Delvaux et Pascal Martin, «L’Églie repense la famille: “Une conception proche de Vichy”«, dans Le Soir, 4 octobre 2014.
(2) «Instrumentum laboris. Les defis pastoraux de la famille dans le contexte d’évangélisation», sur www.vatican.va, 26 juin 2014.
(3) Dont le thème de la dernière université d’été était précisément.
(4) Le Soir, 6 octobre 2014, p. 10.