Espace de libertés | Novembre 2014

L’ULB refuse l’enterrement de l’affaire Wybran


Droit de suite

Le parquet fédéral requiert le non-lieu: « Il n’y a pas d’auteur connu ». L’assassin a pourtant été condamné au Maroc. L’ULB monte au front pour son professeur assassiné il y a 25 ans (1).

L’ULB refuse que la justice belge classe sans suite, comme le parquet fédéral le demandera le 20 novembre prochain à la chambre du conseil, le dossier de l’assassinat du Dr Joseph Wybran, le président du CCOJB (Comité de coordination des organisations juives de Belgique) et professeur à l’ULB.

Au cours d’une récente soirée commémorant cet assassinat commis il y a 25 ans –le 3 octobre 1989– sur le parking de l’hôpital Érasme, le recteur Didier Viviers a lancé un appel: « L’ULB a un devoir de mémoire, un devoir de veille. Nous formons le vœu que la Belgique ne classera pas cette affaire sans suite. » Devant 400 personnes rassemblées pour cet hommage, l’avocate de l’épouse de Joseph Wybran et du CCOJB, Me Michèle Hirsch, a rappelé comment la « poussière s’était accumulée sur ce dossier » et celui de cinq autres assassinats (l’imam de la Grande mosquée de Bruxelles, son bibliothécaire, un chauffeur de l’ambassade d’Arabie saoudite) avant d’être réunis par le parquet fédéral suite à l’arrestation, en février 2008 au Maroc, d’Abdelkader Belliraj. Ce Belgo-Marocain avouera à la police antiterroriste marocaine être l’auteur des six assassinats, donnant des détails que seul l’assassin pouvait connaître. Mais ces aveux, il ne les répétera pas devant les juges d’instruction belges partis au Maroc en commission rogatoire. À son domicile, a rappelé Me Hirsch, les enquêteurs belges découvrirent, outre des armes et des documents issus de mouvements terroristes, une liste de personnalités issues de la communauté juive, annotées à l’issue d’une émission « Noms de Dieux » d’Édmond Blattchen (RTBF). La Sûreté de l’État surveillait Belliraj, un radical actif dans la communauté musulmane de Belgique. Il fut embauché comme informateur rémunéré par la Sûreté en 2000.

Condamné au Maroc

Forte des aveux circonstanciés de Belliraj, la justice marocaine le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité. La Belgique avait transmis à Rabat les dossiers relatifs aux six assassinats. Leur contenu emporta la conviction de culpabilité des juges marocains. La « bande de tueurs » recrutés par Belliraj, et dont le Maroc demandait l’extradition, fut identifiée grâce à ses aveux, mais 14 perquisitions menées simultanément en Belgique ne débouchèrent sur aucune arrestation. « On n’a pas enquêté, on n’a pas extradé », a déploré Me Hirsch. Et elle a dénoncé l’attitude du parquet fédéral « qui juge qu’il n’y a aucun élément à charge de quiconque, qui estime que notre constitution de parties civiles est irrecevable, que le non-lieu s’impose au motif que les auteurs seraient inconnus ». « Et ce non-lieu, a-t-elle ajouté, risque d’être prononcé alors que la prescription (NDLR: dans 5 ans) n’est pas encore atteinte. »

Pour le parquet fédéral, requérir le non-lieu, malgré la condamnation prononcée à Rabat contre Belliraj, reviendrait à constater que le procès fait au Belgo-Marocain a débouché sur une conclusion erronée, qu’un innocent aurait été condamné… Ne pas le renvoyer devant la cour d’assises, à Bruxelles, signifierait pour les parties civiles que la Belgique ne veut pas rendre justice à Joseph Wybran… Elles se satisferaient pourtant d’une reconnaissance d’un non bis in idem (ne pas juger deux fois les mêmes faits) qui établirait,
au nom de la Belgique, l’état de coupable de Belliraj.

Six semaines de tortures

L’avocat d’Abdelkader Belliraj, Me Vincent Lurquin, n’a pas encore pu rencontrer son client au Maroc. Il s’y rendra au début du mois de novembre. « Mon client, nous dit-il, affirme qu’il est innocent. Il n’est pas opposé à répondre à une convocation devant la cour d’assises à Bruxelles. Il préfère un acquittement à un non-lieu. Il faut aussi rappeler que les aveux de mon client lui furent soutirés au cours d’une garde à vue extrajudiciaire par les services antiterroristes marocains qui dura six semaines. Tout le monde convient que des tortures furent exercées. Dans ces conditions, comment recevoir, devant les juridictions belges, des “preuves” obtenues sous la torture? »

Le 20 novembre, la chambre du conseil entendra toutes les parties avant de décider s’il n’y a vraiment pas « d’auteur connu » de l’assassinat du Dr Wybran dont la mort tra-gique, a souligné l’ex-président du CA de l’ULB Hervé Hasquin, marqua « l’aube d’une nouvelle période, celle où le terrorisme s’est installé »… (Marc Metdepenningen, Le Soir)

 


(1) L’ULB vient de se constituer partie civile aux côtés du CCOJB.