Le Pacte pour un enseignement d’excellence, c’est un peu le monstre du Loch Ness : tout le monde dit l’avoir vu, mais personne ne sait à quoi il ressemble. Pourtant, depuis 2015, les ministres en charge de l’Enseignement et les acteurs de terrain y travaillent d’arrache-pied. D’ici quelques années, ses effets doivent remédier aux faibles performances de l’enseignement francophone. Certains y croient, d’autres doutent. Qu’en est-il réellement ? Quelles sont les grandes lignes du Pacte et répondent-elles aux enjeux de l’école de demain ?
La nécessité du Pacte et de cet ensemble de réformes de l’enseignement francophone est née d’un constat : l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) est l’un des mieux financés au monde mais reste profondément inégalitaire. Il reproduit les disparités sociales et favorise un haut taux de redoublement et de décrochage1. Une réforme systémique était donc nécessaire. Et cette dernière s’est incarnée dans le Pacte pour un enseignement d’excellence. Les premières réformes sont progressivement intégrées dans les écoles, par le biais de mesures concrètes déjà mises en place (renforcement de l’encadrement en maternelle, plans de pilotage, début du tronc commun en maternelle…), et les effets sont attendus pour 2030.
Le Pacte est un ensemble de réformes (programmes, transition numérique, formation des enseignants, lutte contre l’échec scolaire…) qui a pris corps en réunissant autour de la table les acteurs de l’enseignement. La volonté de Joëlle Milquet, alors ministre de l’Enseignement obligatoire, était de mettre en œuvre le Pacte en coconstruisant cette réforme afin de susciter l’adhésion. La première étape était la plus facile : faire partager le constat sur l’état de notre système et développer une vision commune pour l’école du XXIe siècle. Convoquer des acteurs avec des sensibilités différentes et des points de vue parfois très éloignés de ce que devrait être notre système scolaire a inévitablement conduit à des compromis. Qui plus est, cette méthode a d’emblée mis en évidence les tabous, notamment celui de la concurrence entre réseaux. Des acteurs embarqués et loyaux vis-à-vis du processus du Pacte ont été mis en difficulté dans d’autres cénacles. Forcément, comme tout ce qui touche à l’enseignement, ce projet a divisé : il y a ceux du dehors reprochant à ceux du dedans d’avoir accepté des accommodements, et ceux du dedans défendant le Pacte.
Le fameux tronc commun
La première et la plus emblématique de ces réformes est l’instauration d’un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire de la maternelle jusqu’à l’âge de 15 ans. Ce nouveau tronc commun s’accompagne d’une révision en profondeur des contenus d’apprentissage et d’un décloisonnement des matières, visant à intégrer dans ces années d’instruction les dimensions polytechnique (cours techniques manuels, technologiques, numériques…) et multidisciplinaire (art, culture, sport, entrepreneuriat…). Par ailleurs, une partie du volume horaire sera consacrée à l’accompagnement personnalisé des élèves. Celui-ci permet de différencier les apprentissages en fonction des forces et des faiblesses des élèves. L’objectif est de les aider, à la fin du tronc commun, à s’orienter positivement pour la suite de leur parcours scolaire.
À l’issue du tronc commun, deux choix s’offrent ainsi aux jeunes : une filière dite de « transition », qui prépare aux études supérieures, et une autre dite de « qualification », qui prépare directement à un métier. La revalorisation de l’enseignement qualifiant, afin que celui-ci devienne un choix positif, est à cet égard inscrite dans le Pacte. Comment ? En le réorganisant, en instaurant la formation manuelle et technologique et en favorisant la découverte des différents métiers tout au long du tronc commun, et en développant les synergies entre l’enseignement, la formation et le monde de l’emploi et des entreprises.
Nouvelle gouvernance
Un autre pilier du Pacte mobilise quant à lui les acteurs scolaires (pouvoirs organisateurs, directions, équipes pédagogiques, parents…) en réinventant le mode de gouvernance des écoles sur base d’un principe d’autonomie renforcée associé à une responsabilisation des écoles. Au travers d’un « plan de pilotage », l’action pédagogique d’un établissement devra poursuivre des objectifs généraux d’amélioration du système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles : renforcement des apprentissages, diminution des inégalités socio-économiques, réduction du redoublement et du décrochage, inclusion des élèves à besoins spécifiques, climat scolaire.
Les premiers résultats et inflexions de courbes significatives sont prévus en 2030. Cela peut sembler lointain mais on peut comprendre qu’une réforme d’une telle ampleur mette du temps à modifier structurellement le système scolaire de la FWB… s’il change. Car c’est probablement la plus grande réserve qui peut être émise au sujet du Pacte : et si l’on avait raté le coche pour opérer les véritables changements censés mettre un terme aux inégalités scolaires ? Et si cette réforme nécessaire et tant attendue s’était heurtée à cette caractéristique nationale : le compromis – mou – à la belge ?
De persistantes résistances
Car la réalité dans quelques années sera sans doute celle-ci : la liberté pédagogique, érigée en valeur sacrée et reposant sur plusieurs réseaux et une multiplicité de pouvoirs organisateurs, continuera à cultiver les germes de ce qui mine l’enseignement francophone depuis toujours : le cloisonnement social et la reproduction des inégalités. On constate notamment dans le cadre du décret inscriptions – et de son abrogation ou modification prévue par la Déclaration de politique communautaire – les résistances au sein du monde scolaire, mais aussi de parents favorisés ou de certains partis politiques face aux changements de l’école, malgré son indéniable aspect profondément inégalitaire.
Se greffe à ce premier grand rendez-vous manqué une série d’arbitrages, concomitants ou non, qui sont reportés sine die. Ainsi en va-t-il de la généralisation d’un cours de deux heures de philosophie et de citoyenneté pour tous les élèves et celle, effective, de l’ÉVRAS en milieu scolaire, ou encore des objectifs ambitieux en matière de gratuité.
Relevons enfin que, malgré tous les efforts déployés en ce sens, le Pacte ne réunit pas encore à ce stade l’adhésion de tous les enseignants. On pourrait disserter à l’envi sur les causes, et il est évident que le temps fera son œuvre en permettant de saisir les tenants et les aboutissants d’une telle réforme, mais en attendant, les résistances – fondées ou non – freineront sa mise en application.
Que retenir du Pacte d’excellence au regard des valeurs que le Centre d’Action Laïque défend pour une école publique, neutre, officielle et gratuite ? L’impression d’un doux (légèrement) amer. Oui, les grandes lignes du Pacte vont plus que probablement réduire les inégalités et augmenter la qualité de notre enseignement tant nos méthodes actuelles sont obsolètes. Néanmoins, on a voulu couler des pratiques de l’école du futur tout en acceptant de se heurter à une certaine opposition conservatrice. Une recette incapable à elle seule de créer l’école de demain, celle qui s’affranchira de l’erreur fondamentale dont découle notre système scolaire inégalitaire : le maintien de l’offre au détriment d’une école unique et gratuite, la seule en mesure de constituer un terrain où se gomment les inégalités.
Nécessaire ? Résolument. Innovant ? Dans de nombreux aspects. À la hauteur des enjeux ? L’avenir le dira, mais on aurait aimé dire : « Certainement » !
1 Résultats de l’enquête PISA 2018, mise en ligne sur www.oecd.org.