Moins de deux mois après une élection présidentielle disputée avec acharnement, l’analyse des causes profondes de cette nouvelle victoire de la droite populiste s’impose. Cinq ans après son arrivée au pouvoir, le PiS remporte une forte adhésion populaire, qui n’est heureusement pas totale. L’échec final du candidat libéral ne doit en effet pas cacher l’importante mobilisation de la société civile et des forces d’opposition, qui a rendu l’alternance crédible.
Le 12 juillet dernier, le président en exercice Andrzej Duda, soutenu par le parti Droit et Justice (PiS), a été réélu avec 51 % des voix contre 49 % pour son rival libéral, Rafał Trzaskowski, de la Plate-forme civique (PO). Le PiS, au pouvoir en Pologne depuis 2015, a beaucoup fait parler de lui pour toutes sortes de mauvaises raisons, et notamment ses attaques contre l’indépendance de la justice, conduisant pour la première fois l’Union européenne (UE) à lancer la procédure de l’article 7 du Traité sur l’UE, permettant de mettre en cause un État membre pour une violation grave de l’État de droit.
La rhétorique nationaliste qui accompagne la mise au pas des contre-pouvoirs n’a pas empêché le PiS de gagner à nouveau. Son discours conservateur répond sans doute aux attentes d’une partie des électeurs, mais cela ne suffit pas à expliquer sa popularité. Si le « nouvel autoritarisme » du PiS trouve son origine dans un contexte historique particulier, ses caractéristiques ne sont pas propres à la Pologne. Il se fonde sur un discours et des méthodes populistes qui sont utilisées ailleurs. Le PiS n’est pas une exception exotique, mais une variation d’un mouvement populiste de fond qui touche la plupart des pays européens.
Gagnants et perdants de la transition démocratique
Entre 1989 et 1991, la transition a mis fin à la dictature communiste de manière pacifique, un régime démocratique a été mis en place et des réformes économiques ont permis une forte croissance et au pays d’adhérer à l’UE en 2004. Cependant, pour une partie de la population, les années 1990 se sont traduites par de grandes difficultés économiques. Conséquence de la « thérapie de choc » néolibérale appliquée pour sortir l’économie de la crise, les fermes d’État et les industries non compétitives ont arrêté leur activité, entraînant le chômage de nombreuses personnes. En même temps, d’anciens cadres du régime communiste ont su très bien tirer leur épingle du jeu lors de la privatisation des entreprises d’État.
Le ressentiment des « perdants » de la transition a été exploité politiquement par la droite conservatrice et nationaliste, qui qualifie le nouveau régime de « post-communiste », où anciens apparatchiks et nouvelles élites se partageraient le pouvoir et les fruits de la croissance de manière occulte, laissant le « peuple » à l’écart. Il est vrai que la croissance économique remarquable de la Pologne s’est appuyée sur un réseau de villes grandes et moyennes, dynamiques et ouvertes sur l’Europe. Les régions rurales périphériques ont été à peu près ignorées par les gouvernements successifs, ce qui a contribué à un sentiment de délaissement qui a été exploité par le PiS.
La « guerre polono-polonaise »
En 2001, les frères Lech et Jarosław Kaczyński créent le parti Droit et Justice. La même année, des politiciens de centre droit, dont Donald Tusk, créent la Plate-forme civique. Ces deux partis dominent depuis la scène politique. Après un court gouvernement PiS (2005-2007), la PO gagne les élections législatives de 2007. Donald Tusk devient Premier ministre : c’est le début d’une cohabitation mouvementée avec le président Lech Kaczyński. À cette époque, le PiS culmine à environ 30 % des voix, en s’appuyant sur le conservatisme religieux et son discours anti-élites. En 2010, la mort du président Lech Kaczyński et de nombreuses personnalités dans un accident d’avion à Smolensk (Russie) cause un traumatisme qui va encore davantage polariser la vie politique1. Une partie de la droite lance des accusations sans fondement contre Donald Tusk et la PO. Ces théories du complot, bien que démenties par la commission d’enquête qui a conclu à l’accident, radicalisent le PiS. Les modérés quittent peu à peu le parti, qui semble plus éloigné que jamais du pouvoir.
Vers le pouvoir
Jaroslaw Kaczyński prend conscience de son isolement croissant, et que les seuls thèmes patriotiques et religieux ne suffisent pas à gagner les élections. Plusieurs cartes sont alors jouées avec une efficacité redoutable, dans une ambiance de fin de règne de la PO, marquée par le départ de Donald Tusk, nommé président du Conseil européen, et l’ »affaire des écoutes », un scandale mettant en cause plusieurs membres du gouvernement.
Le discours moralisateur contre les « élites corrompues » qui contrôleraient l’appareil d’État a redoublé d’intensité et a servi de justification aux lois minant l’indépendance de la justice. En outre, conscient de son impopularité au-delà de son électorat traditionnel, le chef du PiS choisit de présenter à l’élection présidentielle de 2015 un politicien inconnu du grand public, Andrzej Duda. Pendant sa campagne, celui-ci sillonne le pays, notamment les régions périphériques. Sa victoire crée une dynamique favorable au PiS.
À l’automne 2015, lors de la campagne législative, le PiS exploite la crise des migrants, créant un sentiment de peur de l’étranger chez les électeurs. La propagande xénophobe du PiS, qui promet de s’opposer à la répartition des demandeurs d’asile entre les États membres de l’UE, se révèle efficace. Alors qu’une majorité de citoyens polonais était favorable à l’accueil de réfugiés, la campagne agressive du PiS a changé la donne. C’est un cas d’école de populisme : créer artificiellement un sentiment de danger, et se présenter comme étant le seul capable d’y répondre.
Toutefois, l’élément décisif ayant permis au PiS d’acquérir une majorité a été ses promesses sociales, notamment la création d’allocations familiales et le rabaissement de l’âge de la retraite, des idées pourtant apparues à gauche… Les 500 zlotys2 par enfant sont une manne pour nombre de familles modestes. La politique redistributive du PiS lui a permis d’acquérir et de fidéliser une majorité au-delà de sa base initiale.
Le PiS s’appuie donc sur plusieurs éléments : un discours anti-élite typique des partis populistes, associé à la promesse de « reprendre le contrôle » sur l’État ; la mobilisation de l’électorat contre un danger créé de toutes pièces (les migrants en 2015, l’« idéologie LGBT » en 2020) ; et enfin une politique sociale qui répartit les fruits de la croissance de manière plus égalitaire. Malgré cela, l’élection présidentielle de 2020 a montré que presque la moitié de l’électorat s’opposait aux agissements du PiS. La perspective d’une victoire, malgré la partialité des médias publics, a galvanisé l’opposition libérale et de gauche. L’autoritarisme du PiS, ses attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBT+ ont fortement mobilisé l’électorat progressiste.
1 La délégation se rendait aux commémorations du massacre de Katyń, où des milliers d’officiers polonais ont été assassinés sur ordre de Staline en 1940. En tout, environ 20 000 officiers ont été assassinés par le NKVD à cette époque, à Katyń, Kharkov et d’autres lieux.
2 À peu près 125 euros.