Espace de libertés | Novembre 2018 (n° 473)

Libres ensemble

À ToekomstAtelierdelAvenir (TADA), des enfants issus de quartiers défavorisés de la capitale reçoivent chaque week-end des leçons pratiques données par des professionnels. Une ouverture vers d’autres horizons et compétences inexploitées.


Comme chaque samedi, depuis un an maintenant, Aylan passe sa journée à l’antenne TADA d’Anderlecht. À 10 ans, il a déjà découvert plusieurs métiers. « Je me suis intéressé à tous ceux que j’ai pu voir comme journaliste ou médecin. Je suis heureux de découvrir des professions que je ne connaissais même pas », explique le jeune garçon.

Cette semaine, il a rendez-vous avec Henri, assistant en biologie clinique dans un laboratoire. Comme chaque fois, les leçons données se déroulent dans une ambiance décontractée. La séance commence par une série de questions-réponses. Tout y passe, des bactéries aux virus. Puis arrivent les exercices pratiques. Les enfants apprendront à se laver les mains comme dans un laboratoire, avant de s’exercer à faire des prélèvements comme des professionnels sur diverses matières. « J’ai été séduit par l’initiative. C’est la deuxième fois que j’y participe. Cette idée de transmettre notre passion, d’ouvrir des perspectives aux jeunes, de façon ludique, c’est très intéressant », confie Henri.

Pour accompagner les élèves chaque semaine, il y a Julia Heneffe. À l’instar d’une institutrice, elle coordonne la journée pour que tout se passe le mieux possible pour tout le monde. « Je prépare les cours, recrute les intervenants professionnels, fais le lien entre les élèves et eux », raconte la jeune femme. Rien ne prédestinait cette juriste à se retrouver devant un tableau noir, mais ce projet qui met en contact des mondes différents l’a directement attirée. « TADA permet de faire tomber des murs, des barrières. Les enfants rencontrent des personnes inspirantes, des professionnels qui se mettent à leur hauteur, en les stimulant un maximum à travers les activités proposées dans les ateliers. De la sorte, ils apprennent de plus en plus à se créer leur propre opinion, à être critiques, à se poser les bonnes questions sur ce qui les entoure. »

Plus de confiance en soi

Les enfants débutent les ateliers en 5e primaire jusqu’à la 1re secondaire. En trois ans, il y a un équilibre entre la présentation des métiers techniques, artistiques et intellectuels, avec un maximum d’intervenants. « Ceux-ci ont des profils très différents : des personnes qui ont 40 ans de métier, d’autres qui sont simplement passionnés et des étudiants. Cette diversité est importante », ajoute Julie Lefebvre, responsable de l’antenne d’Anderlecht qui compte six classes d’une trentaine d’enfants. « Le but n’est pas de développer des vocations, mais plutôt de développer des compétences auprès de ces jeunes. Ainsi, les enfants ont davantage confiance en eux et en la société », complète-t-elle.

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Le but n’est pas de développer des vocations, mais plutôt des compétences. © TADA

Lors des ateliers, l’équipe travaille en effet sur diverses compétences comme l’écoute, la prise de décisions en équipe et de parole devant un groupe. « Des compétences importantes, et c’est en y travaillant chaque semaine qu’on voit de fortes progressions auprès des enfants. C’est l’une des grandes richesses de TADA », relève Antoine Delhasse, enseignant d’histoire-géo la semaine et coordinateur pédagogique à l’antenne d’Anderlecht le samedi. À ses yeux, TADA innove pas mal en matière de pédagogie. Dans son enseignement quotidien, il essaie d’utiliser ces techniques apprises à TADA pour construire ses cours. « Les enfants sont acteurs de leur apprentissage. Les intervenants sont là pour susciter les réflexions et les inspirer, mais les réponses vont venir des enfants. Ce n’est pas le monologue de 25 minutes d’un spécialiste. Mais à travers des questions, des mises en situation, ils amènent des réponses par leur ressenti, leur propre expérience. »

Avec TADA, ces enfants issus de quartiers défavorisés de la capitale découvrent surtout une image positive d’eux-mêmes. C’est ce que témoigne Kamilia, 17 ans. Cette ancienne élève est passée sur les bancs des ateliers du samedi voilà cinq ans. Désormais, elle passe ses week-ends comme jobiste pour donner un coup de main à l’antenne d’Anderlecht. « J’espère qu’un jour, je pourrai moi aussi venir en tant qu’intervenant et partager aux élèves ma passion pour un domaine professionnel ! »  En attendant, elle en profite pour expliquer aux élèves ce qu’elle a elle-même appris grâce à TADA. « Cela m’a permis d’ouvrir mes perspectives en découvrant des métiers comme ceux d’avocat ou d’ingénieur commercial. C’est une chance incroyable. »

850 élèves accompagnés

Derrière ce projet, lancé en 2012, il y a Sofie Foets. Voilà quelques années, lorsqu’elle travaillait au Parlement européen, elle a découvert l’initiative aux Pays-Bas, lors d’une conférence consacrée aux meilleures pratiques européennes en matière d’enseignement pour les jeunes des quartiers défavorisés. Comme il y a un énorme besoin en Belgique dans ce domaine, étant donné l’inégalité dans l’enseignement, surtout à Bruxelles où un enfant sur trois vit en situation de pauvreté, Sofie Foets se lance dans ces ateliers de l’avenir. Mais la demande étant plus importante que l’offre, l’association doit sélectionner les enfants participants selon des critères tels que leur situation socio-économique à la maison ou le niveau de formation et d’emploi de leurs parents.

« Le cursus proposé par TADA pourrait être intéressant pour chaque enfant. Mais nous choisissons de donner un coup de pouce à des jeunes socialement vulnérables, parce que ce sont eux qui en ont le plus besoin. En dehors de leur famille et de l’école, leur réseau est assez restreint. Ils n’ont souvent pas la chance de connaître des personnes d’horizons professionnels divers, qui pourraient jouer le rôle de modèle et leur montrer le chemin dans la “jungle” qu’est notre société », continue Sofie Foets.

Si les ateliers se concentrent à la capitale où TADA est présent à Molenbeek, Anderlecht et Saint-Josse, la volonté est d’élargir ce périmètre pour toucher jusqu’à 1 000 enfants coachés d’ici 2020 contre 850 aujourd’hui. TADA a ouvert début octobre une quatrième école du week-end à Molenbeek, à deux pas du canal. L’association prépare déjà l’ouverture d’une cinquième antenne à Schaerbeek, à l’automne 2019.

Après cinq ans d’existence, TADA est devenu un réseau de bénévoles – près de 2000, de familles, d’écoles, de donateurs, qui font rayonner ce concept d’apprentissage. « Nous insistons sur l’implication de la société civile dans l’éducation ; sur le fait que des professionnels bénévoles et des entreprises peuvent donner aux jeunes des raisons d’aimer apprendre et de contribuer à la société. On voit que certaines personnes ou organisations s’inspirent de cette démarche. On espère que cela va continuer. »

D’autant que les résultats sont prometteurs, notamment en matière de fréquentation : lors de l’année scolaire 2016-2017, chaque samedi, 82 % des élèves étaient présents en moyenne. Et 99 % des anciens élèves de TADA vont encore à l’école. « Un résultat fantastique pour notre public », se réjouit Sofie Foets.