Le Centre d’Action Laïque lance une nouvelle campagne sur la thématique des drogues. Au programme: focus sur ses propositions pour une réglementation responsable du marché du cannabis. Une nécessité dictée par l’actualité de ce dossier au niveau national et international.
Le 17 octobre dernier, le Cannabis Act qui établit un cadre juridique et de réglementation pour contrôler la production, la distribution, la vente et la possession de cannabis, est entré en vigueur au Canada. Un exemple intéressant et inspirant! De même que les effets de la réglementation ou la libéralisation du marché du cannabis dans quelques États américains (Colorado, Californie…) qui génèrent d’importantes recettes fiscales et contribuent ainsi, par exemple, à améliorer la politique d’éducation. Sans oublier l’émergence du débat sur le cannabis thérapeutique en Europe, marqué au niveau de la Belgique par les tergiversations du gouvernement fédéral, alors que les pays européens légifèrent à tour de rôle. Pendant ce temps, chez nous, la tolérance zéro inscrite dans la déclaration du gouvernement fédéral s’est vue confirmée par l’arrêté royal du 6 septembre 2017, mettant fin à la tolérance1 en vigueur depuis une dizaine d’années.
Un combat au long cours
Depuis plus de deux décennies, le CAL milite en faveur d’un modèle de réglementation des drogues au nom des valeurs laïques essentielles que sont l’autonomie, la liberté, la responsabilité et le respect des personnes. Mû par la volonté d’aborder ce dossier hors du champ habituel de la morale, il assied son analyse sur des fondamentaux tels que la liberté de choix, dont la liberté de disposer de son corps, s’émancipant ainsi d’un paradigme qui tend à infantiliser les individus ou à diaboliser leurs comportements. Le CAL s’appuie aussi sur le constat des effets délétères de la prohibition sur la santé mentale des usagers et l’équilibre de leur famille, et plus largement, sur l’état de la société. Ce constat d’échec de la répression a été maintes fois souligné, y compris dans des instances internationales.
Des économistes, des criminologues et des professionnels de la santé ont élaboré des propositions alternatives concrètes. Et sur le terrain, le secteur de la prévention, de la réduction des risques et le monde associatif2 prouvent que les mentalités évoluent, notamment via l’organisation de campagnes comme Support don’t punish ou Stop 1921. Certains magistrats et policiers, témoins privilégiés de l’échec des politiques en vigueur, prennent le risque de s’y joindre. Ensemble, ils œuvrent au maintien du débat public sur la question.
Modus operandi
La position du Centre d’Action Laïque est très claire: l’État doit organiser, par un cadre légal strict, le marché du cannabis dans son ensemble, de la culture, à la fabrication, la transformation, la vente, jusqu’à la distribution et l’établissement des modalités de consommation. Le texte de la proposition détaille de manière très rigoureuse les conditions de production, de transformation et de mise en vente du cannabis et de ses dérivés.
Nous sommes persuadés que la seule réponse responsable aux problèmes que posent les drogues aux individus et aux sociétés est de réguler leur marché, d’édicter des règles modulées selon leur dangerosité, d’en surveiller et d’en imposer le respect. (Ruth Dreifuss, présidente de la Commission globale de politique en matière de drogues)
Il faudrait, parallèlement, faire évoluer les législations tabac et alcool existantes vers un renforcement de la prévention. Ces produits seraient régis par les mêmes règles (contrôle de production, accises, interdiction de la publicité). Leur vente serait libre mais en comptoir spécifique ou commerce spécialisé.
La production et la vente de cannabis seraient donc confiées au secteur privé, sous contrôle de l’État. Néanmoins, les fumeurs pourraient cultiver leurs plants pour leur consommation personnelle et s’associer pour mutualiser leur production, sur le modèle des cannabis social clubs. La détention pour un usage personnel serait dépénalisée à partir de 16 ans, âge qui correspond à une réalité sociologique de consommation.
Avec l’alcool, le cannabis est le produit psychotrope le plus consommé en Belgique3. Ce n’est assurément pas un produit anodin ni sans dangers. Une politique de réglementation d’encadrement légal n’induit en rien la promotion de l’usage mais amène à une meilleure protection des consommateurs, leur garantissant des produits contrôlés et leur offrant un accès aisé aux conseils de réduction des risques. Elle permet également une approche préventive envers les plus jeunes, sans tabou, via un dialogue libéré de l’interdit. Elle conduit à une diminution du nombre de détenus en prison ainsi qu’au dégagement de moyens policiers et judiciaires pour d’autres tâches. Elle génère des moyens financiers accrus pour l’État grâce aux taxes et accises qui constituent autant de moyens supplémentaires pour la prévention et la réduction des risques. Elle vise enfin à priver les trafiquants mafieux de leur monopole de fait.
Faire bouger les lignes
Un des arguments privilégiés des opposants à toute réglementation tient en ce que la population ne serait pas prête à un tel changement de politique. Pourtant, l’expérience démontre que si un effort pédagogique auprès du public est réalisé, le projet est bien compris. Les gens adhèrent en grande majorité aux avantages en matière de santé publique et de lutte contre les réseaux mafieux qu’un tel projet de modification législative induit.
Les sondages (qui, soulignons-le, n’ont pas de valeur scientifique) réalisés par le CAL, en festival ou dans d’autres lieux, indiquent ainsi tous les mêmes résultats: +/- 80% des sondés se prononcent en faveur d’une réglementation.
C’est pourquoi le volet principal de la nouvelle campagne du CAL propose des actions visant à rencontrer un public le plus large possible, en vue d’élargir ce mode de consultation. Il est plus que temps de faire bouger les lignes.
1 Tolérance vis-à-vis de la détention de moins de trois grammes ou un plant pour un majeur en vue de sa consommation personnelle, basée sur une directive de 2005 indiquant que cela devait constituer le degré le plus bas de la politique des poursuites, sauf circonstances aggravantes ou trouble à l’ordre public ; cette tolérance était à géométrie variable.
2 Modus vivendi, Transit, La Liaison antiprohibitionniste, FEDITO BXL, et bien d’autres…
3 Consommation de cannabis au cours de la vie de la population adulte : 8,1 % à Bruxelles, 5,6 % en Wallonie ; jusqu’à 30 % pour la tranche d’âge 25-34 ans. Source : Clémentine Stévenot & Michaël Hogge, L’Usage de drogues en Wallonie et à Bruxelles, rapport 2017, Eurotox ASBL.