Critique aiguisée du patriarcat d’avant l’émancipation féminine des années 1960, voilà un roman dystopique qui nous plonge dans les rapports hommes-femmes, de la petite à la grande histoire. Plus de 100 ans après une première auto-publication sous la forme d’un feuilleton dans le mensuel américain The Forerunner, Herland de Charlotte Perkins Gilman vient enfin d’être traduit en français et édité au format livre, tel un royaume au bois dormant. Son auteure, sociologue peu connue en Europe, il est vrai, est pourtant celle à qui l’on doit notamment Women and Economics, grande référence du féminisme nord-américain au même titre que L’Asservissement des femmes de John Mill. Le roman, on y vient, s’articule autour du récit d’un homme coincé avec deux de ses congénères dans un monde parallèle, un royaume de femmes dégagées de toute domination masculine depuis 2000 ans. Car figurez-vous que dans ce royaume paisible et harmonieux, les hommes sont inutiles, y compris pour la reproduction. Écrit par une femme et narré par un homme, Herland pose un regard masculin sur une société matriarcale, marxiste et écologiste composée de mères et de filles, et où éducation rime avec citoyenneté. Pour les trois hommes qui s’y aventurent, cette prison dorée peuplée d’Amazones asexuelles se révélera être paradis… et enfer à la fois. On aurait aimé que ce roman ne s’arrête pas si vite, et surtout connaître les impressions d’Ellador la curieuse sur le monde mixte et profondément inégalitaire du début du XXe siècle. On attend dès lors avec impatience l’édition française de With her in Ourland, la suite, pas encore annoncée à ce jour. Il y a fort à parier que si, comme nous, vous avez aimé Les Hommes protégés de Robert Merle et Moi qui n’ai pas connu les hommes de Jacqueline Harpman, vous aurez très certainement envie de prendre un aller simple pour Herland.