Peut-on consommer du cannabis en Belgique, en toute impunité ? Malgré les idées reçues, ce n’est pas vraiment le cas. Les années tolérance sont derrière nous, puisque sa consommation dans l’espace public, qui était passible de contravention, est désormais qualifiée de délit.
On pense parfois que le cannabis est légal en Belgique. Rien n’est plus faux, tout au plus a-t-il été toléré durant un temps. Le cannabis est illégal, et en détenir ou en cultiver peut impliquer des peines diverses. C’est en fait la circulaire de 2005 qui avait ouvert la porte à une certaine tolérance pour l’usage personnel de cannabis, dont le seuil, strict, était défini à trois grammes ou un plant. Un PV simplifié était alors rédigé. Cette situation entraînait de nombreux problèmes pratiques, puisque la personne détient parfois plus de trois grammes pour une consommation personnelle ; qu’un plant donne d’ailleurs généralement plus que trois grammes de cannabis ; que l’autoproducteur plante souvent plusieurs plants, afin d’en avoir au moins un produisant le THC psychoactif ; que, de l’usage personnel à la vente, il n’y a qu’un pas, par exemple en cas de « dépanne »…
Mais du moins y avait-il une certaine tolérance… En tout cas jusqu’au gouvernement fédéral actuel, lequel, dans son accord, précise que « la détention de drogues est interdite. La consommation de drogues dans l’espace public ne pourra pas faire l’objet d’une tolérance. » Cette politique, qui se voulait musclée, s’est notamment traduite dans l’arrêté royal du 6 septembre 2017. Et au-delà des muscles, on a alors vu du brouillard !
Retour à zéro
L’article 6 § 1er de l’arrêté royal stipule que « nul ne peut importer, exporter, transporter, fabriquer, produire, détenir, vendre ou offrir en vente, fournir, délivrer ou acquérir, à titre onéreux ou à titre gratuit, des produits [dont le cannabis], sans autorisation d’activités. » Le § 2 du même article souligne que « la culture de plants de cannabis […] est interdite et ne peut être autorisée ».
On a donc vu du muscle, puisque tout d’abord la production de cannabis est interdite. On l’a vu se durcir, puisque l’article 61 sanctionne plus fortement qu’avant, tout usage pratiqué sur la voie publique. C’est la traduction de la tolérance zéro décrétée par le gouvernement fédéral à l’égard des drogues sur l’espace public : il s’agit désormais d’un délit et non plus d’une contravention.
Un usage même personnel sur la voie publique est désormais un délit, et non plus une contravention.
On a aussi vu du brouillard, puisque cet arrêté royal ne contient aucune occurrence des termes « trois grammes » ou « un plant ». Le Conseil d’État (section législation) avait pourtant critiqué l’absence de quantité objectivable dans le projet d’arrêté royal. Mais le gouvernement décida de passer outre : « La notion “pour usage personnel” n’est pas un critère quantitatif, qui serait alors exagérément imprécis, mais un critère intentionnel, comme élément moral de l’infraction, par définition subjectif mais inhérent à toute infraction pénale. Il peut être établi par tout moyen, et pas seulement ni nécessairement par la quantité de produits détenue. » L’insécurité juridique est d’autant plus grande, puisque l’usage non personnel peut désormais être établi « subjectivement » et par « tout moyen »… Un recours, déposé par la FEDITO BXL1, Modus Vivendi et Infor-Drogues, est encore pendant au Conseil d’État.
Des circulaires qui tournent en rond
Toujours est-il qu’en juin dernier, est passée une révision de la circulaire de 2015, refaisant référence aux seuils objectifs de trois grammes ou un plant : le PV simplifié établi par la circulaire de 2005 a été confirmé, en ce compris dans le cas de la détention sur la voie publique sans ostentation. Cette même révision confirme que l’usage personnel ou ostentatoire peut être apprécié en fonction des circonstances, par essence subjectives. Et là, on note que l’usage personnel peut être entendu « au-delà » de trois grammes ou un plant. En effet, alors que la circulaire de 2005 soulignait que l’usage personnel est évalué « jusqu’à » trois grammes ou un plant, la circulaire de 2015 et sa révision adoptée en 2018 soutiennent, elles, que l’usage personnel peut dépasser ces seuils.
Peut-on dire que la Belgique a fait un pas supplémentaire vers la tolérance à l’égard du cannabis ? Certainement pas : d’abord, la circulaire de 2015 et sa révision soulignent bien que les services de police devront utiliser ces seuils pour définir l’usage personnel, et le PV simplifié ne vaut toujours qu’en dessous des trois grammes ou un plant. Par ailleurs, un usage même personnel sur la voie publique est désormais un délit, et non plus une contravention. Enfin, les textes peuvent être appliqués très différemment, qu’il s’agisse de la dernière circulaire qui n’a aucune force de loi, ou de l’arrêté royal lui-même auquel, comme l’a souligné le ministre de la Justice Geens au Parlement, « il peut toujours être dérogé en raison de situations locales, en cas de directive émanant du Collège des procureurs du Roi, ou en concertation entre le bourgmestre, la police et le parquet ».
La quantité ne fait pas l’usage
Mais en même temps, à l’occasion de l’arrêté royal de 2017, c’est le gouvernement lui-même qui soulignait, comme cité plus haut (on ne fait que rappeler), que « la notion “pour usage personnel” n’est pas un critère quantitatif, qui serait alors exagérément imprécis, mais un critère intentionnel, comme élément moral de l’infraction, par définition subjectif mais inhérent à toute infraction pénale. Il peut être établi par tout moyen, et pas seulement ni nécessairement par la quantité de produits détenue. » Autrement dit, importer, fabriquer, transporter, acquérir, cultiver et détenir plus de trois grammes ou un plant de cannabis… pourrait être subjectivement qualifié d’usage personnel.
Voilà qui est simplement révélateur de textes difficiles à lire et à interpréter, voire mal coordonnés. Et c’est à l’image d’une politique en matière de drogues qu’il est urgent de rénover en Belgique. Son socle est la loi du 24 février 1921 : elle date donc de près d’un siècle. Ce n’est que lorsque cette loi sera définitivement abrogée, comme s’y emploie la campagne STOP1921, que la politique drogues gagnera en clarté, en lisibilité et en efficacité. Dans l’attente, toute évolution est vouée à devoir se faire hors-la-loi, portée par la société civile, par des hommes et des femmes politiques locaux, par des parquets décidant de ne pas poursuivre, ou par des textes inattendus et un brin surréalistes.
1 Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes ASBL.