Espace de libertés | Octobre 2014 (n° 432)

«Cachez cette burqa que je ne saurais voir»


Libres ensemble

Ce 1er juillet, la Cour européenne des droits de l’Homme considérait que l’interdiction de la burqa en France ne violait ni la vie privée ni la liberté de religion. De quoi apaiser les inquiétudes des détracteurs de la loi en Belgique, peut-être.  De quoi confirmer sa nécessité, sûrement.


À l’origine de l’arrêt, une plainte d’une musulmane française portant la burqa pour être en accord « avec sa foi, sa culture et ses convictions personnelle s». Autant d’éléments qu’elle estimait ne plus pouvoir exprimer librement depuis l’entrée en vigueur en avril 20111 de la loi française interdisant le port de tenue destinée à dissimuler son visage dans l’espace public2.

Hind Ahmas, attends a press conference on December 12, 2011 in front of the police tribunal in Paris, after being fined for violating France's niqab ban. In France, a woman who repeatedly insists on appearing veiled in public can be fined 150 euros and ordered to attend re-education classes. AFP PHOTO / MIGUEL MEDINA

Hind Ahmas, poursuivie pour avoir contrevenu à la loi antiburqa en France, fait face au tribunal de police de Paris, le 12 décembre 2011. © Miguel Medina/AFP

Face à l’allégation principale de la requérante, à savoir une violation de son droit à la vie privée et de sa liberté de conscience et de religion, la Cour procède par étapes. Dans un premier temps, elle reconnaît que l’interdiction visée cause une ingérence permanente dans l’exercice de ces droits, tout en rappelant leur caractère non absolu. Autrement dit, une limitation peut être prévue par une loi à condition qu’elle réponde à un objectif légitime et soit proportionnée.

Au nom du vivre ensemble

La Cour constate alors que la loi est justement justifiée par deux objectifs légitimes : la sécurité et la protection des droits et libertés d’autrui. Le premier résistera à l’examen de proportionnalité, au contraire du deuxième. Pourquoi? La jurisprudence de la Cour est claire: une interdiction généralisée et ayant pour motif la sécurité n’est proportionnée qu’en présence d’un contexte révélant une menace générale contre la sécurité publique, contexte qui n’a pas pu être prouvé au moment de l’adoption de la loi. En revanche, pour la première fois, la Cour retient le « vivre ensemble » comme but légitime permettant une interdiction de la burqa, en ce que ce vêtement porte atteinte au droit d’autrui d’évoluer dans un espace de sociabilité facilitant la vie ensemble. Les travaux parlementaires précisent d’ailleurs qu’une réflexion sur les phénomènes de discriminations basées sur la religion et des actions de sensibilisation devaient accompagner la loi visant à faire reculer le port du voile intégral sous la contrainte. La loi attaquée fait par conséquent partie d’un processus plus large, avec une portée répressive certes, mais également éducative.

La loi fait partie d’un processus plus large, avec une portée répressive certes, mais également éducative.

Vu l’absence de consensus européen sur la question du voile intégral dans l’espace public3 et la légitimité des autorités nationales pour régler les rapports entre l’État et les religions en fonction des besoins et contextes locaux, la France disposerait d’une large marge d’appréciation.

Enfin, les sanctions frappant le non-respect de l’interdiction sont certes pénales, mais les plus légères que le législateur pouvait envisager: 150 euros d’amende maximum et/ou un stage de citoyenneté.

Quant à l’allégation de discrimination à l’égard des femmes musulmanes, celle-ci est balayée en ce que l’interdiction n’est pas explicitement fondée sur la connotation religieuse des vêtements mais sur le seul fait qu’ils dissimulent le visage.

Au-delà de l’enseignement purement jurisprudentiel qu’offre cet arrêt, il suscite une question : la Cour raisonnerait-elle de la même manière en cas de recours à l’encontre de la loi belge dite « antiburqa »?4 Les lois belge et française présentent en effet des similitudes mais aussi des différences.

Confiance réciproque

Les deux lois poursuivent tout d’abord le même objectif: défendre un modèle de société faisant prévaloir l’individu sur ses attaches philosophico-religieuses en vue de favoriser l’intégration de tous et le partage d’un patrimoine commun de valeurs fondamentales. Trois objectifs mentionnés par la Convention européenne des droits de l’homme sont donc visés: la sécurité publique, l’égalité homme/femme et le « vivre ensemble ». À cet égard, il est piquant de constater que le gouvernement belge est lui-même intervenu devant la Cour européenne pour la persuader du bien-fondé de la loi belge et partant de la loi française attaquée.

Trois objectifs  mentionnés par la Convention européenne des droits de l’homme sont visés : la sécurité publique, l’égalité homme/femme et le « vivre ensemble ».

Le contexte, ensuite. La loi belge5 a emboîté le pas à la loi française adoptée quelques mois plus tôt. Son adhésion parlementaire fut tout aussi importante : 129 voix contre une à la Chambre belge des représentants, 335 voix contre une à l’Assemblée nationale française.

Le contenu de la loi, quant à lui, semble plus répressif en droit belge: la sanction qu’encourt la personne dissimulant son visage en public peut aller jusqu’à 250 euros contre 150 euros en France. La Cour européenne pourrait malgré tout conclure en la proportionnalité de notre loi sur la base de l’arrêt rendu par notre Cour constitutionnelle6 selon lequel le législateur avait opté pour la sanction pénale la plus légère, soit le même raisonnement tenu par la Cour européenne à l’égard de la loi française.

Les deux lois ont enfin eu droit à l’examen de leur Cour constitutionnelle, toutes deux recevant attestation de conformité à leur Constitution respective, avec cette différence que cette analyse eut lieu avant l’adoption de la loi en France7, et après en Belgique. Autrement dit, la loi française était valide en théorie, avant même son entrée en vigueur, tandis que la loi belge a été déclarée valide compte tenu de son contenu théorique mais aussi de ses effets pratiques!

De quoi nous laisser penser que la loi belge «anti-burqa» a encore de beaux jours devant elle, c’est du moins tout le mal qu’on lui souhaite, tant qu’elle sera garante de la cohabitation harmonieuse et de la confiance réciproque entre citoyens, chère au mouvement laïque8.

 


1 Loi n°2010-1192 du 11 octobre 2010, entrée en vigueur le 11 avril 2011.
2 Article 1er de la loi.
3 La Belgique avait également légiféré mais juste après la France, la question était en débat en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, et le phénomène était inexistant en Europe centrale et orientale./ 436pratiques_signes_ religieux052011.pdf
4 Ce recours pourrait être introduit tant par des particuliers que des associations comme «Justice and Democracy» qui avait annoncé fin 2012 sa volonté d’étudier un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme. La dernière campagne de cette ASBL, nommée «Head up!», visait d’ailleurs à constituer un fonds destiné à mener des actions en justice contre les discriminations faites aux femmes qui portent le foulard.
5 Loi du 1er juin 2011 visant à interdire le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage, M.B., 13 juillet 2011, p. 41734, entrée en vigueur le 23 juillet 2011.
6 Arrêt n°145/2012 de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2012.
7 Décision n°2010-613 DC du Conseil constitutionnel du 7 octobre 2010.
8 Cf. les positions du CAL sur les pratiques et signes religieux: www. laicite.be.