Espace de libertés | Octobre 2014 (n° 432)

Ne frappons pas l’autre joue


Dossier

Dans une Belgique qui pataugeait en plein milieu du bénitier où les « boat people » de la foi tentaient de rejoindre les rivages athées, il fallait bien du courage, une ferme résolution pour s’extraire des flots et se débarrasser, une fois la plage atteinte, des boulettes de dogmatisme qui collaient aux pieds.


Pour conquérir sa liberté, pour exister sans communier, pour être enterré sans s’être converti, pour être marié aux yeux des voisins sans voir pleuvoir du riz sur le parvis de l’église locale, il était indispensable de parler clair, de parler fort, de blasphémer un bon coup. Il existait une justification à dénoncer, à caricaturer les errances bibliques pour dégager les épaules de la lourde soutane du conformisme, des règles morales édictées au nom d’une croyance maîtrisée, compartimentée et distillée par un clergé impitoyable.

Purification

Le poids du contrôle social, la crainte du qu’en-dira-t-on, le moule du conformisme bien pensant se sont insinués dans les fissures des consciences pour corseter l’existence et dicter une vie coincée entre deux onctions. Ce long et difficile parcours de la purification de l’âme perdue par ailleurs en cours de route, a conduit les libres penseurs pour échapper au dogmatisme ambiant, à user d’anticléricalisme primaire, secondaire et tertiaire. Ces rivalités convic

tionnelles se sont focalisées autour d’un enjeu essentiel à savoir la maîtrise, la mainmise sur l’éducation des jeunes paroissiens. Les libéraux et les cléricaux se disputaient l’école. On connaît tous le triste dénouement fait pacte que nous traînons aujourd’hui encore comme un boulet qui ralentit l’éclosion d’une école de tous, pour tous et commune à tous.

Revenons à nos moutons ou plus exactement à nos brebis et faisons la part des choses entre l’anticléricalisme de bon aloi et la consommation immodérée de prélats risquant de provoquer une indigestion cléricale contre-productive. Nuançons le clerc et soyons clairs, un curé est toujours un clerc, un laïc n’est pas un clerc, par contre qu’il soit laïque est on ne peut moins clair ! La théorie est pourtant simple comme l’énonce, avec sa justesse coutumière, Henri Peña-Ruiz : « On appelle clercs les personnes investies d’une mission officielle dans l’organisation et l’activité de l’Église catholique. L’exercice d’une telle mission au sein de la communauté religieuse n’est pas à strictement parlé cléricalisme. En revanche, lorsqu’au nom de son ministère religieux, un membre du clergé sort des limites de la communauté des fidèles qui lui reconnaît librement son rôle et veut dicter la loi à toute la société et même à l’État, il y a cléricalisme.»

Il convient de mener un combat anticlérical lorsque le clergé à la prétention de vouloir contrôler la société, disposer d’un droit de censure, d’un droit de veto, d’un pré « Éminence » dans le débat sociétal. Il est donc intemporel et justifié de conserver une attitude anticléricale –celle qui veut «cloîtrer la pensée dans le dogme».

Diktat

Mais le cléricalisme a été rattrapé par la mondialisation. Il s’est modifié et a changé de visage, a accru son spectre confessionnel, sa dispersion géographique et ethnique, les religions du livre et celles qui en débordent posent d’autres questions, représentent d’autres dangers qu’il convient d’aborder avec doigté afin de progresser sur la ligne de crête tellement bien photographiée par Caroline Fourest. Il faut dénoncer les dérives cléricales, communautaristes tout en respectant la conviction, la tradition, la spiritualité, les rituels. Une fois encore l’enjeu est de faire émerger les valeurs communes qui nous préservent des particularismes et nous éloignent des replis identitaires. Bref, tout mettre en œuvre pour défendre notre liberté, les libertés de chacun et se donner les moyens de construire, avec tous les gens de bonne foi, aussi multiples soient-elles, un chemin qui nous préserve des velléités cléricales, du diktat et de l’instrumentalisme de la croyance pour éviter le choc des identités.

Dépassé le bon temps où les libres penseurs pouvaient sans retenue s’en prendre aux curés de passage, caricaturer les diacres d’un catholicisme omniprésent et marquant de son emprunte ses ouailles et les infidèles égarés sur des chemins iconoclastes. Il convient à présent d’être suffisamment vigilant pour dénoncer les dérives cléricales de toutes confessions sans englober les croyants qui partagent notre conception de la séparation Églises/État et la laïcité comme perspective de convergence ; et ainsi, ne pas prêter le flanc à ceux qui, non sans une certaine mauvaise foi et manipulation évidente, tentent de faire passer les défenseurs de la laïcité pour des ennemis de la liberté, des inquisiteurs d’innocents prêcheurs.

Ne soyons pas dupes, gardons notre franc parler, sachons dénoncer les dérives mais préservons-nous des pièges de l’amalgame.