Espace de libertés | Octobre 2014 (n° 432)

Laïcité et Constitution : les rendez-vous manqués. Une interview de François Roelants du Vivier


Dossier

L’inscription du principe de laïcité dans la Constitution belge, c’est un peu comme le monstre du Loch Ness: beaucoup en parlent mais on n’est pas près de la voir surgir (1). Ce n’est pourtant pas faute que d’aucuns eussent essayé: François Roelants du Vivier, Sénateur honoraire libéral, fut l’un des pionniers de cette quête donquichottesque. Il se souvient.


Espace de Libertés : En mars 2003, vous avez déposé, avec Philippe Monfils, un amendement (Sénat 2-1549/2) visant à inscrire le principe de laïcité dans la Constitution. Pourriez-vous nous rappeler en quelques mots les circonstances qui ont motivé votre initiative ?

François Roelants du Vivier : Lorsqu’en mars 2003, je dépose avec Philippe Monfils un amendement afin d’intégrer le principe de la laïcité dans la Constitution, l’époque est celle d’un gouvernement d’où les deux partis hostiles à des avancées éthiques sont absents. Il nous semble alors que les circonstances nous autorisent à avancer dans un domaine où, pour reprendre une expression de Pierre Galand « le flou nourrit la discorde en un débat stérile». En effet, il nous paraît alors important de bien définir dans notre exposé des motifs, ce qu’on entend par laïcité de l’État, qui n’est ni la neutralité dont certains prétendent que la législation belge est garante, ni un courant de pensée militant qui s’imposerait au détriment d’autres croyances. Mais, comme le disait si bien lors d’un débat Olivier Maingain, « quand on n’ose pas les mots, on n’ose pas les idées ».

Sur un plan personnel, qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette entreprise ?

À titre personnel, deux éléments ont joué en faveur du dépôt de cette proposition. Les hasards de la vie ont fait que j’ai été éduqué par la République française, où je me suis trouvé parfaitement en phase avec cette séparation claire de l’Église (ou des églises) et de l’État qui, en France, est pour tous une évidence. Pourquoi, me suis-je dit, ne pas s’inspirer d’un tel exemple? En second lieu, j’ai été marqué par une figure familiale : mon arrière-arrière-grand-oncle, Jean- Baptiste Nothomb, secrétaire et rapporteur de la commission qui élaborait la Constitution belge en 1830, lequel aurait voulu aller plus loin que le pragmatisme de la loi fondamentale belge, fruit de concessions réciproques entre libéraux et catholiques. À preuve, cet aphorisme : « Il n’y a pas plus de rapport entre l’État et la religion, qu’entre l’État et la géométrie », et surtout cette péroraison d’une intervention à la Chambre : « Quel que soit le sort que l’avenir nous réserve, si nous ne sommes destinés qu’à passer, marquons notre passage par un grand principe, marquons la séparation des deux pouvoirs. »

Avez-vous perçu de l’hostilité à l’égard de ce projet ou seulement un désintérêt de la part des autres sénateurs ?

J’ai été très frappé de la réception qui avait été faite de l’annonce de mon amendement à un bureau du PRL-FDF auquel je participais, où beaucoup se sont ouvertement moqués de cette initiative, la qualifiant, au mieux, d’utopique. J’allais rouvrir des plaies, créer des tensions inutiles y compris au sein de la formation libérale… D’emblée, je ne me suis pas fait de grandes illusions sur le sort qui serait réservé à l’amendement, mais ce n’était pas une raison pour abandonner. À preuve, je m’y suis repris à trois fois.

On a parfois eu l’impression que les tentatives d’avancer vers une reconnaissance explicite de la laïcité manquaient de coordination…

À la même époque, d’autres, à quelques nuances près, ont fait des propositions similaires, non suivies d’effet. Je constate qu’il existe une force d’inertie au sein de la représentation parlementaire pour ne pas aborder un sujet qui pourrait fâcher, alors que la recrudescence des intégrismes devrait nous amener à proclamer l’autorité de la loi sur quelque religion ou morale que ce soit.

Que faudrait-il pour que cela réussisse enfin ?

Ce principe de laïcité sera-t-il un jour adopté ? J’en ai l’intime conviction. Comme toujours en politique, il faut savoir attendre. Le changement s’obtient au terme d’une longue lutte culturelle, après avoir cent fois enfoncé le même clou. Et soudain, comme le mur de Berlin est tombé, ce qui semblait de l’ordre du rêve s’accomplit. En quelques jours.

 


(1) Pour rappel, d’autres sénateurs, dont Pierre Galand, ont également tenté, à diverses reprises, de faire passer une loi implémentant, d’une façon ou d’une autre, le principe de laïcité ou sa mise en œuvre dans le droit belge. Si celui déposé en 2008 par Philippe Mahoux et consorts est parvenu à obtenir un examen de la part du Conseil d’État, les choses n’ont guère été plus loin.