Espace de libertés | Octobre 2014 (n° 432)

Cette « Khmère rose » qui veut raser l’École


École

En France, la nomination de Najat Vallaud-Belkacem au poste de ministre de l’Éducation déchaîne l’hostilité à droite et ravive des délires alimentés par des catholiques et musulmans ultras.


En cette rentrée scolaire, les cours de récréation de l’Hexagone sont en passe de se transformer en champ de bataille. La nomination de Najat Vallaud-Belkacem en qualité de ministre de l’Éducation nationale au sein du gouvernement de Manuel Valls a provoqué une bronca sans précédent, réunissant, dans un attelage baroque, catholiques ultras, droite réactionnaire, figures de l’opposition « républicaine », militants d’extrême droite et prosélytes de l’islam radical (soit un islam « en France » et non « de France »).

Au-delà de la personne de la ministre, âgée de 36 ans, précédemment en charge du Droit des femmes, de la Ville, de la Jeunesse, des Sports et porte-parole du gouvernement (ouf !) -qui suscite un tombereau d’injures racistes et de propos misogynes- ce sont bien les convictions et combats politiques que porte Vallaud- Belkacem qui cristallisent le violent rejet dont elle fait l’objet, au nom de «la protection des valeurs morales des enfants ». Pis que l’incarnation de la gauche laïcarde, la ministre serait porteuse d’un projet de perversion des esprits, visant à « abolir les différences entre les sexes » et « saper les fondements de la civilisation judéo-chrétienne». Pas moins.

« Papa porte une robe » et maman la culotte

À l’origine de ces craintes irrationnelles, un psychodrame politico-social dont la France détient le brevet mondial. Retour en arrière. Dans le cadre de ses précédentes fonctions ministérielles, Vallaud-Belkacem a promu un programme baptisé « Les ABCD de l’égalité ». Celui-ci visait explicitement à sensibiliser les élèves à l’égalité hommes-femmes dans la société comme dans la sphère professionnelle. Objectif, battre en brèche les stéréotypes sexués qui ont la vie dure, du type « papa travaille, maman cui- sine». En 2013, ce programme a fait l’objet d’une expérimentation dans 275 établissements scolaires. Mais très vite, s’est diffusée une campagne d’abord initiée par des catholiques et musulmans ultras présentant ces fameux ABCD comme le faux-nez d’une supposée « théorie du genre » insidieusement instillée dans les petites têtes blondes (ou brunes, ou crépues). En clair, sous couvert d’égalité hommes-femmes, le gouvernement aurait cherché à imposer une vision abolissant les distinctions entre les sexes, jusqu’à brouiller les repères, voire promouvoir l’homosexualité et le transsexualisme ! Aussi complotiste que délirante, ne reposant sur aucun élément tangible, cette entreprise d’intoxication a fait florès. C’est jusqu’à Jean-François Copé, alors président de l’UMP, principal parti d’opposition, qui a crié au loup, allant jusqu’à brandir devant les médias un livre proche du satanisme, «Papa porte une robe», comme lecture imposée aux petits élèves français. Faux, bien évidemment. Mais, calomniez, calomniez, il en restera toujours quelques chose.

La machine s’est encore emballée lorsque des groupuscules islamistes ont appelé les parents à retirer leurs enfants de ces écoles de la perversion. Fanatiques ou crédules, des parents inquiets se sont pliés à l’injonction dans plusieurs départements. Suffisamment pour que le ministre de l’Éducation de l’époque, Vincent Peillon, se fende de déclarations rassurantes, en vain. D’un vraie-fausse polémique savamment entretenue, le débat sur la supposée «théorie du genre » a enflammé les sphères médiatiques, politiques et intellectuels. Pour ses contempteurs, Najat Vallaud-Belkacem, elle, en est devenue l’incarnation.

Une arabe pas très catholique

Pas étonnant, donc, que Christine Boutin, président du parti Chrétien-démocrate, catholique proche de l’illumination qui, députée, lut la Bible dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, voit dans la promotion de Vallaud-Belkacem à l’Éducation une « provocation ». « Politique nauséeuse », « chiffon rouge », « idéologie dangereuse », « sectarisme » etc. Les caciques de l’UMP, parmi les plus à droite, ont rivalisé de messages de bienvenue.

Entre temps, cependant, ce qui est sans doute le plus inquiétant dans cette affaire, les fameux ABCD sont passés à la trappe. Exit le programme, ils ont été remplacés par une vague « Action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école ». Pas suffisant. Le Figaro Magazine, dépeint toujours Vallaud-Belkacem comme une « Khmère-rose » prête à pervertir les programmes scolaires.

Dernière grossière manipulation en date, début septembre, une fausse missive de « consigne » paraphée d’une imitation de la signature de la ministre a inondé les réseaux sociaux : Vallaud-Belkacem y intimerait aux maires de réserver une heure d’activité pédagogique à l’apprentissage de l’arabe. La ministre a porté plainte pour usurpation. Dommage. Apprendre l’arabe pourrait s’avérer utile. Comme améliorer l’apprentissage de la lecture, le niveau en maths ou d’autres broutilles.