Espace de libertés | Octobre 2014 (n° 432)

Du socio-culturel au social-culturel…


Arts

En plus de transporter des émotions, de la détente et de la connaissance, la culture peut aussi se muer en vecteur de liens sociaux et lutter contre les inégalités en tous genres. Dans une réelle volonté d’échange. Sans oublier un refus absolu des sens uniques et des sentiers (re)battus.


Durant ces mois de juillet et août derniers, et comme chaque année en été, la notion de culture aura été, bien souvent, balayée à sens unique par les festivals et les phénomènes de masse. Les amateurs de rock se sont par exemple rendus par milliers dans les champs de Flandre et de Navarre. Et, si la détente, les émotions et les découvertes furent au rendez-vous, le lien social que peut susciter la culture au sens large s’est bien souvent limité au partage de bière tiède, et plus si affinités, dans les campings environnants.

Programmation citoyenne

« Nous sommes bien entendu très loin de ce type de culture là », s’esclaffe Joëlle Yana, l’une des fondatrices de La Tricoterie, association qui avance une programmation « à la fois culturelle et citoyenne ». « Nous nous démarquons des lieux de culture dits mainstream en ce que nous tentons d’apporter plus que du divertissement. » La Tricoterie, fabrique de liens porte donc particulièrement bien son nom. Puisqu’elle tisse des liens sociaux. Dans un lieu où les disciplines et les publics se croisent, le tout sous-tendu par un esprit d’échange et d’émulation. « Notre programmation culturelle, assez pointue, faite de concerts, de spectacles, ou d’expos ; côtoie donc une programmation “citoyenne”. Avec des débats, des conférences, ou des ateliers intergénérationnels. Plus globalement, nous désirons en fait promouvoir ce qu’Edgar Morin appelle un rapport “poétique” au monde. Une façon de prendre le temps de se parler, de manger (dans un concept très slow food), de découvrir des cultures différentes et de faire des rencontres. En résumé: pour nous, il est essentiel que la culture, quelle qu’elle soit, crée du sens et du lien social. Sinon, elle ne possède pas la même valeur. »

Message reçu par l’association Recyclart, souvent perçue comme « socio- culturelle » du fait de sa programmation très ciblée. Alors qu’elle serait plutôt du genre « sociale et culturelle », selon sa directrice Ingrid Pecquet. « Puisque notre objectif de départ consistait, entre autres, à transformer la rupture urbaine provoquée par la jonction nord-midi à Bruxelles en une liaison vivante, en assurant un lien fort entre les différents quartiers qu’elle traverse. Nous définissons d’ailleurs avant tout l’art comme un outil “politique”. Qui fait réfléchir sur notre société. Pour bâtir un pont entre les cultures, les classes sociales et les univers différents. L’accent est donc mis sur le petit, le fragile, et le vulnérable. La part belle de notre programmation porte sur les “subcultures” et les nouveaux mouvements culturels urbains. »

Économie sociale

Recyclart s’intègre donc (aussi) dans une dynamique d’économie sociale. Répondant en cela au discours dominant, et parfois très pompeux et trop généraliste, du « renouveau des industries culturelles » et de l’importance de la « ville créative» par une vision plus locale et plus solidaire. Défendant, par exemple, une vision liée à la remise à l’emploi, plutôt qu’à l’employabilité. « Il s’agit en effet de créer les opportunités nécessaires à chacun pour réaliser ses propres objecifs professionnels », continue Pecquet.
« Nos missions comprennent logiquement un volet concernant l’engagement de travailleurs issus de la région bruxelloise. Bref, nous tentons modestement de jeter 􏰀 les bases d’une autre façon de considérer la culture. »

Et de jeter, par la même occasion, une pierre dans le jardin de ceux qui consi- dèrent la culture comme un secteur annexe, indigne d’être financé en cette période de crise. « Nous, au contraire, reprend la Big Boss, nous avons montré que si elle s’inscrit dans un contexte plus large, la culture tend à réduire les inégalités et à redonner du sens à l’existence des individus. Et ce sans besoin de soutiens financiers démesurés. » Une idée toujours bonne à entendre, surtout dans le contexte politique actuel, où la culture se débat avec des budgets dont le chiffre tient souvent sur la tranche d’un timbre.