Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

Le clitoris en tête d’affiche


Culture

Dans l’intimité de leur chambre, douze jeunes femmes parlent de leur sexualité. Premières sensations, explorations, interrogations : toutes sont mues par volonté de faire valoir leur droit – et le droit des femmes en général – à une éducation sexuelle sans tabous. « Mon nom est clitoris » : une ode au plaisir féminin pour un film salutaire.


Le trait est indécis, la main hésite, recommence. Pas facile de dessiner un clitoris, même quand on en a un entre les cuisses depuis une vingtaine d’années. Les images en disent long sur ce qu’il demeure de méconnaissance de son propre corps. À la suite d’une longue conversation sur la masturbation et l’obligation de la pénétration dans les rapports hétérosexuels, favorisée par la relation d’amitié qui les lie depuis leurs études à l’INSAS, Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet ont eu envie de partager avec des filles de leur âge leur questionnement sur la sexualité féminine et d’en faire un film, celui qu’elles auraient voulu voir quand elles étaient adolescentes. Un film qui remet en cause les passages « obligés », le patriarcat et l’hétéronormativité. Et qui soulève une question cruciale : mais pourquoi est-ce que tout – vocabulaire compris – tourne toujours autant autour du pénis ?

« Les jeunes filles qui s’expriment ont entre 20 et 25 ans, comme nous au moment du tournage. Nous ne voulions pas qu’elles aient trop de recul sur leur sexualité. On cherchait des lapsus, des moments où l’on se trahit par la parole », explique Daphné. « À cet âge-là, on se questionne, on doute. On a vu des films dans lesquels des trentenaires parlent de leur sexualité et à cet âge, elles sont déjà plus dans la distance, le bilan. »

Gloire au clito !

Après le tournage sans équipe « afin de favoriser la liberté de parole, dans un esprit de sororité et d’empathie », c’est au moment du montage que le clitoris s’est imposé comme fil rouge, voire comme un petit personnage à part entière, qui apparaît et disparaît, en 2D, en 3D, jusqu’à une réelle appropriation par les protagonistes et son extériorisation en mode street art. Une dimension symbolique est très forte pour cette espèce de petit monstre tentaculaire.

L’organe féminin dont la seule fonction est vouée au plaisir a mis des siècles à se montrer sous son vrai jour.

Comme le souligne Lisa, « l’effacement du clitoris est le symbole de la méconnaissance et de la censure de la sexualité des femmes cisgenres (1). Il était primordial qu’il apparaisse dans le titre. » « Le nommer », poursuit Daphné, « c’est le faire exister, dans l’esprit comme dans le corps, dans la pensée comme dans la sensation. » Longtemps ignoré, l’organe féminin dont la seule fonction est vouée au plaisir a mis des siècles à se montrer sous son vrai jour : on doit sa première anatomie exacte aux dissections de l’urologue australienne Helen O’Connell en 1998 (l’année où la France remporta la Coupe du monde, ce qui a davantage marqué l’opinion, en rient les réalisatrices) et sa première modélisation en 3D à l’artiste new-yorkaise Sophia Wallace en 2006, précédant de peu celle de la chercheuse française Odile Fillod qui l’a mise à disposition en accès libre.

Dans le vent

En sortant en 2019, en même temps que Politique du clitoris de Delphine Gardey, Mon nom est clitoris tombe à point nommé. « Car il est entré dans une ère publique », souligne l’historienne et sociologue. Aujourd’hui, il est représenté sur les réseaux sociaux, sur les trottoirs, sur les murs… et même dans les champs (2). Mais le phénomène est très récent : « Il y a dix ans, le film serait sans doute retombé comme un soufflet », estiment les réalisatrices. « Il y a quatre ans, quand on a commencé à tourner, c’était le néant absolu : les informations manquaient et celles qui existaient étaient très difficiles à trouver. »

Aujourd’hui encore, une adolescente sur quatre ne sait même pas qu’elle a un clitoris et 83 % des filles de 15 ans en ignorent la fonction érogène (3). « Informer, et répondre à des questions concrètes, c’est une nécessité ! », scandent les réalisatrices. C’est pour cette raison que le documentaire prend la forme d’un dialogue sur le ton de la confidence ponctué de séquences pédagogiques : il joue volontairement avec les genres, n’en déplaise aux puristes.

Une vocation éducative

« Les séquences imaginées tout au long du film hors des interviews [ont] pour but de répondre en partie à certaines des questions que l’on soulève. On essaie d’expliquer, de montrer l’emplacement du clitoris, de la zone G, par exemple. Comme nous avons nous-mêmes eu du mal à trouver ces informations [la plupart des manuels se limitant toujours à illustrer uniquement le gland du clitoris, voire rien du tout (4), NDLR], nous nous sommes dit que ce serait utile de les partager ! » détaille Lisa. « Ça nous semblait crucial. Dans le cinéma, on n’aime pas trop la pédagogie, on se pose sempiternellement la même question : l’art peut-il être pédagogique ? On a fait un film militant, on voulait faire plus que pointer du doigt le problème », ajoute Daphné.

Mon nom est clitoris se met donc volontairement au service de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. « Au-delà de sa sortie en salles, on trouve super chouette que les écoles se l’approprient », avoue la réalisatrice. « De plus, la Fédération des centres pluralistes de planning familial de Bruxelles a conçu un dossier pédagogique s’appuyant sur des extraits du film. Des animateurs et animatrices vont donc les utiliser pour donner leurs cours d’ÉVRAS, c’est un réel aboutissement ! Après les projections scolaires au Festival international du film francophone de Namur, notre film va servir d’outil, concrètement, dans les classes ! » se réjouit Lisa. Le dossier va même être distribué dans une centaine de centres de planning en ce début d’année et sera disponible en ligne. Quant à la suite – car elle est déjà prévue –, elle prendra la forme d’un projet Web avec une dizaine de capsules sur les sujets non traités dans le film tels que la transsexualité ou l’asexualité. Avec la même approche intimiste et plusieurs témoignages afin d’éviter les étiquettes.

De quoi répondre aux défis d’un monde où les héritières de Mai 68 s’étonnent que cinquante ans après la révolution dite sexuelle, les jeunes filles en savent encore si peu sur leur propre corps. Autocensure ? Difficulté de sortir du rapport de domination ? Nouveaux diktats ? Les raisons sont nombreuses. Mon nom est clitoris nous montre encore aujourd’hui à quel point « le privé est politique ».

 


(1) Dont le genre correspond au sexe biologique.
(2) En 2016, il a surgi sous la forme d’un crop (dessin visible du ciel) de 120 mètres de long dans un champ près de Montpellier.
(3) Chiffres issus du rapport relatif à l’éducation à la sexualité du Haut Conseil à l’égalité en juin 2016.
(4) Marine Van Der Kluft, « Le clitoris est enfin correctement représenté dans un manuel scolaire », mis en ligne sur www.scienceetavenir.fr, le 19 mai 2017.