Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

« Les atteintes à la liberté naissent d’un déni de réalité » (Sam Touzani)


Opinion

En tant qu’artiste, Sam Touzani se sent concerné au premier chef par la liberté d’expression et de créativité. Mais que signifient-elles pour lui ?


« La question est simple dans son interrogation, mais complexe dans son application. C’est le projet d’une vie. On pense que la liberté d’expression et la liberté de conscience constituent des acquis. Abandonner sa religion ou ne pas en avoir  : cela semble évident. Mais dans la pratique, nous sommes à une année-lumière de cela. Pourquoi ? Parce que la liberté d’expression contient une certaine fragilité. Quand on se demande ce que c’est, on pourrait répondre d’une façon simpliste : “Ben, c’est dire ce que tu veux”. Pourtant, même avec des personnes qui sont de grands défenseurs des libertés, avec lesquelles je partage une philosophie de vie basée sur la libre pensée, on se rend compte qu’au quotidien, il y a des entorses à la liberté d’expression et que nous interprétons ce concept de manière opposée. Les atteintes à la liberté naissent d’un déni de réalité.

Je suis d’accord de ne pas être d’accord et je trouve qu’il n’y a pas assez de débat en Belgique. Nous devons apprendre à nous confronter. Ce qui fait mal, c’est la sacralité. Dès que l’on désacralise un tant soit peu, on relativise, on met à distance, en perspective, ce qui permet la critique et donc d’être libres, enfin. Il faut amener les gens à une citoyenneté responsable. Pour vivre ensemble, il faut que nous soyons libres ensemble, être égaux, avec comme socle commun, la citoyenneté. Et seule la laïcité favorise cela, en laissant aux religieux la possibilité de vivre leur religion sans se taper les uns sur les autres ou avec les non-croyants.

Le véritable enjeu du xxie siècle, c’est de rire de son propre sacré et du sacré de l’autre, sans pour autant sortir les kalachnikovs. Mais finalement, la liberté d’expression, cela s’apprend ,ce n’est pas inné. Un peu de pédagogie ne fait pas de mal. Car nous sommes tous nés libres et sans Dieu. Nous sommes tous athées à la naissance. Ensuite, peu de gens font l’économie d’un Dieu, mais en définitive, on n’est plus athée, à cause de l’Autre. C’est l’adulte qui met Dieu dans la tête de l’enfant. Le contexte culturel et le collectif gèrent sa vie. La libre pensée vient après.

Je me sens profondément libre de ma créativité, mais c’est quelquefois plus difficile dans mes spectacles. Quand je conçois mon spectacle, il n’y a aucun sujet tabou. Je suis de nature un peu frontale, ce qui peut me valoir des cailloux sur la tête. J’ai donc appris à composer pour pouvoir faire passer mes messages, parfois les plus subversifs, en y mettant la forme. Et la subversion, c’est sûrement ce qui manque le plus à nos sociétés aujourd’hui. Ce que représente très bien Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015, c’est l’outrance qui a été attaquée. J’y ai perdu des amis et l’atteinte à leur liberté, leur esprit subversif, fait que je ne peux plus les serrer dans mes bras aujourd’hui ». (se)