Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

International

Après l’Uruguay, le Canada, la Jamaïque et plus d’une dizaine d’États nord-américains, le Grand-Duché de Luxembourg est prêt à emboîter le pas de la légalisation : avec sa récente proposition de loi, le gouvernement luxembourgeois veut encadrer la consommation, la production et la distribution de cannabis à usage récréatif.


La finalisation d’une réglementation relative au cannabis à des fins « non médicales » doit prochainement voir le jour au Grand-Duché de Luxembourg. Dans le prolongement de ce « changement de cap » que l’on peut observer aujourd’hui en plusieurs endroits du globe à l’égard du cannabis à usage récréatif, le Grand-Duché de Luxembourg a décidé de réviser un modèle dérivant d’une stratégie antidrogue menée par l’Union européenne depuis plusieurs décennies maintenant et qui, formellement, visait à lutter contre les toxicomanies. Réduire l’offre et la demande en étaient fort logiquement les objectifs opérationnels. Or, point n’est besoin de le rappeler, la prohibition n’est pas une bonne réponse, car elle ne protège personne, coûte cher, épuise les forces de l’ordre, sature le système de la justice, et favorise les inégalités sociales et raciales face au droit, pour finalement échouer à réguler, pour reprendre le constat dressé par Marie Jauffret-Roustide et Jean-Marie Granier (1). Ce constat n’est pas neuf. Mais l’heure est peut-être au changement.

« Dépénaliser, voire légaliser »

En s’ouvrant pourtant au cannabis à usage thérapeutique en juillet 2018, le Grand-Duché a laissé augurer – comme nombre d’autres pays qui ont légalisé l’usage thérapeutique de cannabis avant de passer à son usage récréatif – une certaine inflexion portée par une « pression populaire ». Épinglons, par exemple, la pétition no 1031. Celle-ci porte sur l’usage récréatif de cannabis et a récolté plus de 7300 signatures, ce qui montre à l’échelle du Grand-Duché, la relative pression que la société peut exercer  sur les politiques à ce sujet. D’où le signe d’une volonté politique plus progressiste sur cette question ? Le projet de texte est explicitement inscrit au sein du programme gouvernemental actuellement en cours et de l’accord de coalition 2018-2023 des partis politiques portés au pouvoir. Par conséquent, dans un délai de quatre ans, une loi sur la culture, la vente, la possession et la consommation de cannabis à usage récréatif devrait voir le jour, et ce, sous certaines conditions.

Les principaux « objectifs seront de dépénaliser, voire de légaliser sous des conditions à définir, la production sur le territoire national de même que l’achat, la possession et la consommation de cannabis récréatif pour les besoins personnels des résidents majeurs. Mais aussi d’éloigner les consommateurs du marché illicite, de réduire de façon déterminée les dangers psychiques et physiques inhérents et de combattre la criminalité au niveau de l’approvisionnement. À cette fin, il s’agira d’instaurer, sous le contrôle de l’État, une chaîne de production et de vente nationale et de garantir ainsi la qualité du produit. Les recettes provenant de la vente du cannabis seront également investies prioritairement dans la prévention, la sensibilisation et la prise en charge dans le vaste domaine de la dépendance » (2). Cette modification législative devrait entraîner un certain nombre de changements (juridique, économique, etc.) ainsi qu’un ajustement des pratiques sociosanitaires s’inscrivant elles dans une stratégie globale de prévention, de réduction des risques et d’interventions liées au traitement des addictions.

Le Canada comme source d’inspiration

Pour l’heure, c’est essentiellement du modèle canadien que le projet de loi en préparation semble s’inspirer. Il y a alors tout lieu de penser que les axes qui seront développés viseront à réglementer la possession, les échanges, les achats, la vente, la culture et la fabrication de cannabis ; à protéger la jeunesse ; à protéger et favoriser la santé publique ; à réduire les activités criminelles ; et enfin, à produire le cannabis.

Chaque adulte résidant au Luxembourg devrait être autorisé à cultiver, à acheter, à posséder et à consommer du cannabis à des fins personnelles.

Un accès interdit pour les mineurs et contrôlé pour les adultes constituerait les balises d’une politique nouvelle ayant pour objectif de « légaliser pour mieux encadrer » (3), selon les termes d’Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Il apparait, en fonction des informations dont nous disposons à l’heure actuelle, que l’usage récréatif de cannabis serait accessible à partir de 18 ans, pour des raisons constitutionnelles. Chaque adulte résidant au Luxembourg devrait être autorisé à cultiver, à acheter, à posséder et à consommer du cannabis à des fins personnelles, et ce, de manière limitée. Il n’est donc nullement question de développer ou de favoriser un « tourisme » autour de cette drogue et encore moins d’ouvrir ce marché aux travailleurs frontaliers. On peut raisonnablement penser que les autorités réglementeront également de manière très stricte toute publicité autour du cannabis afin d’éviter toute action pouvant être interprétée comme une incitation. Toute consommation ne pourra se faire que dans un cadre privé. Il n’est pas envisagé de voir se développer des coffee shops version luxembourgeoise. Au-delà des mesures à prendre afin de satisfaire, à partir d’une production qui se veut locale, un marché qui reste nébuleux en son nombre exact de clients potentiels, les rentrées financières que ce « nouveau » commerce devrait générer seront destinées à renforcer la prévention et la recherche dans le champ des addictions.

Ce projet en gestation aboutira-t-il ? et sous quelles formes ? Il serait erroné d’évoquer un changement de paradigme à proprement parler si réduire l’offre comme la demande reste à terme l’objectif déguisé d’une politique prohibitionniste qui tairait son nom.

 


(1) Marie Jauffret-Roustide et Jean-Marie Granier, « Repenser la politique des drogues », dans Esprit, no 2, pp. 39-54.
(2) Accord de la coalition 2018-2023 (Luxembourg), p. 105.
(3) Ivana Obradovic, « La légalisation du cannabis au Canada », Observatoire français des drogues et des toxicomanies, note n2018-04, 2018.