Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

Coup de pholie

Le 5 décembre dernier, la France se mettait en grève. Il s’agissait d’une grève dure, violente, destinée à exprimer le sentiment d’impossible qui sature désormais la vie de tous. Davantage qu’une simple manifestation de désaccord vis-à-vis d’une décision politique dont les destinataires refuseraient de porter les conséquences, cette grève voulait signifier un « non » absolu. Mais elle n’était pas seule dans ce cas. Aujourd’hui, partout autour du monde, la population n’en peut plus. Elle n’en peut plus du mépris, des inconséquences, du bavardage, des raisons plus ou moins branlantes avancées par ceux qui prétendent la gouverner sans même plus faire semblant de la respecter. Elle n’en peut plus d’être comptée comme quantité négligeable, tout juste digne d’être conduite au bureau ou au tombeau, à l’instar d’un troupeau de vaches destiné à l’abattoir. La grève, plutôt qu’un instrument de lutte sociale, a donc changé de statut : elle est devenue une manière de rendre visibles ceux dont tout est fait pour qu’ils demeurent relégués dans l’invisible de leur maison, de leur arrière-boutique ou de l’usine ou de l’hôpital où ils crèvent d’un travail absurde. Elle dit : puisque vous foutez nos vies en l’air, nous allons à notre tour foutre en l’air le système qui les rend si invivables – car vous avez plus à y perdre que nous. Que, de la même manière que les manifestations, les grèves fassent désormais l’objet de répressions de plus en plus brutales de la part des forces de l’ordre en est une conséquence logique. Ceux qui, aujourd’hui, profitent du labeur de tous sans se soucier de ne leur rendre ne fût-ce que l’apparence de la politesse sont, en réalité, les derniers bénéficiaires d’un mode de fonctionnement social en perdition. Que la grève devienne un pur instrument de force, de même que les manifestations sont devenues de purs moments de défi, voilà qui a été provoqué par ceux-là qui ont cru qu’ils pouvaient les traiter comme de simples manifestations de folklore. En fait, le folklore est tout ce qui reste à ceux à qui on a enlevé l’essentiel – car, ce folklore, il n’est personne qui puisse le faire disparaître, au contraire des droits au chômage, à l’assurance maladie, à la retraite, à un salaire décent. Le folklore n’est pas matériel ; il est de l’ordre de ce qui donne un sens. Ceux qui gouvernent ont oublié le sens du sens ? Il faut croire que le temps de la facture de cet oubli soit désormais venu.