Espace de libertés | Janvier 2020 (n° 485)

La minute la plus longue


Des idées et des mots

Si l’événement nous a, pour la plupart, plongés dans l’horreur de ce que peut quelquefois produire l’humanité, il est difficile d’imaginer le vécu des victimes des attentats de Charlie. Et de ses survivants. Il en est un qui ne s’était pas beaucoup exprimé sur ce qu’il a vu, vécu, ressenti lors de cet épouvantable massacre : c’est Riss. Il aura fallu quasi cinq ans pour qu’il couche sa stupeur sur papier, dans un élan de type maïeutique, qui dénoue les associations que sa pensée effectue entre son vécu personnel depuis l’enfance (la mort d’un grand-père), jusqu’à son métier de reporter (la mort d’autrui, parfois sur des terrains lointains), à celui de l’intrusion fracassante de la grande faucheuse dans un lieu dédié à la liberté : sa rédaction. Celle de Charlie Hebdo. Son récit résonne ainsi de plusieurs phrases qui en disent long sur le regard qu’il porte sur cette tragédie et les soubresauts qui en résultent : « L’existence est une succession de petites morts. Tous nos gestes sont ceux d’un futur mort. » « Le hasard est le meilleur ami de l’homme, même si souvent, il le met dans la merde. » « Nous devions répondre à toutes les questions, posséder toutes les réponses, sur la liberté d’expression, le terrorisme, l’intolérance religieuse, l’actionnariat ou le sexe des anges. Cette période tragique pour le pays et le respect pour nos morts nous imposaient de répondre du mieux possible à ce maëlstrom journalistique. » « Un rescapé est comme un chêne touché par la foudre. À moitié vivant. À moitié mort. » Face à ce massacre idéologique qui le (nous) marquera à vie, Riss tente de sortir des postures ou réflexions que l’on pourrait attendre de lui, en tant que victime. Il arrive, au fil d’une plume fine et imagée, à nous rappeler qu’il y a un avant et un après-Charlie. Et que, si l’outrance, le blasphème, la liberté d’expression sont essentiels pour qu’une démocratie puisse se qualifier comme telle, le courage de celles et ceux qui les hissent haut a parfois des répercutions tragiques. Mais inacceptables. (se)