En Pologne, l’augmentation des poursuites judiciaires pour « offense aux sentiments religieux » illustre la relation étroite entre les autorités actuelles et l’Église catholique, dans une identification de la religion à l’identité nationale, menaçante pour les droits des citoyens.
« Qui lève la main sur l’Église lève la main sur la Pologne ! » La déclaration de Jarosław Kaczyński, chef du parti Droit et Justice (PiS), lors de la cérémonie organisée à l’occasion du 24e anniversaire de la création de la traditionaliste Radio Maryja, en décembre 2015, illustre parfaitement la conception des relations entre l’Église et l’État du pouvoir polonais actuel. Le de facto leader de l’État a poursuivi : « L’Église et son enseignement sont le fondement de la polonité, et il ne peut exister de Pologne sans l’Église. » De manière générale, la séparation « amicale » de l’Église et de l’État est devenue une fiction ; la défense de l’Église catholique, de son influence et de ses dogmes est prise très au sérieux par l’ »État PiS ». L’identité religieuse sert à légitimer la rhétorique nationaliste, en échange d’un accès privilégié au pouvoir pour les organisations catholiques les plus conservatrices.
La confluence des thèmes et des termes utilisés par le parti et l’épiscopat est telle qu’un observateur averti a pu écrire qu’ »on peut parfois avoir l’impression que Kaczyński est le véritable chef de l’Église catholique en Pologne » ! Il est donc difficile de démêler les fils de cette complicité entre l’Église et le parti au pouvoir. Quoi qu’il en soit, ce mélange des genres politique et religieux est hautement toxique, et menace les libertés, notamment d’expression et de religion et de conscience.
Une répression du blasphème…
L’article 196 du Code pénal, qui punit l’ ”offense aux sentiments religieux”, a donné lieu à de nombreuses poursuites, même avant l’arrivée au pouvoir de Droit et Justice (1). Un cas emblématique et fortement médiatisé est celui de la chanteuse Doda, poursuivie pour s’être moquée de la Bible dans une interview. Elle a été condamnée à une amende par les tribunaux. Son recours a été rejeté par la Cour constitutionnelle polonaise, qui a jugé, en octobre 2015, que l’article 196 du Code pénal était conforme à la Constitution. L’affaire est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg aurait là une occasion d’affirmer l’importance de la liberté d’expression, mais sa jurisprudence sur le sujet est particulièrement pusillanime.
… de plus en plus systématique et brutale
En outre, ces dernières années, les poursuites ont été rendues plus nombreuses par l’activisme de groupes extrémistes, qui invitent leurs membres à leur signaler d’éventuels « délits » pour en informer systématiquement les autorités judiciaires. De multiples affaires ont lieu dans un contexte politique pesant, marqué par la mise au pas de l’institution judiciaire, la politisation de l’appareil d’État et l’alliance du gouvernement et de l’épiscopat.
Autre signal inquiétant : Elżbieta Podleśna, militante active dans les manifestations pour le respect de l’État de droit, a été arrêtée à son domicile – qui a été perquisitionné –, placée en garde à vue pendant plusieurs heures puis inculpée pour avoir collé devant une église des images représentant la Vierge noire. Une image pieuse très populaire, entourée des couleurs de l’arc-en-ciel associées au mouvement pour les droits des personnes LGBTQI+. Plus encore que son inculpation, c’est son arrestation et sa garde à vue – une première pour une affaire de ce genre –, qui ont choqué. Pour de nombreux analystes, l’offense aux sentiments religieux a été utilisée pour intimider une personne active dans l’opposition.
Par ailleurs, en poursuivant la simple association d’une image pieuse et des couleurs de l’arc-en-ciel, l’accusation réprime tout ce qui s’éloigne d’une version tolérante de la religion. Dans les termes d’une analyse préparée par l’organisation conservatrice Ordo Juris, Elżbieta Podleśna aurait commis une « profanation » qui est « offensante », car « ces mouvements [LGBTQI+] affirment des comportements contraires à l’éthique catholique ». Par ces poursuites, c’est toute la puissance de l’État qui est utilisée pour faire respecter des conceptions religieuses rigoristes. L’État se met au service de l’Église, et de sa tendance la plus conservatrice et « nationale-catholique ».
Persécution d’un culte dissident
Et cette tendance semble vouée à s’accroître. Le 8 juin 2019, le prêtre, militant LGBTQI+ et ancien évêque de l’Église catholique œcuménique unie Szymon Niemiec a célébré la messe pendant la Gay Pride de Varsovie, dont il est un des fondateurs. Cette Église, dont la branche polonaise s’est dissoute en mars 2019, partage la plupart des articles de foi et des rites de l’Église catholique romaine, mais en étant indépendante et beaucoup plus libérale sur les questions de mœurs. L’épiscopat a ici encore fait preuve de son intolérance en déclarant que ladite messe était une « offense à Dieu et aux croyants ». Des poursuites ont été lancées pour « insultes » à la messe catholique. Pour la première fois, cette disposition a donc été utilisée contre un prêtre d’une autre dénomination. Le système judiciaire sort complètement de son rôle en protégeant le monopole de l’Église sur le rite de la messe et en combattant une Église dissidente. L’État s’immisce dans des questions purement théologiques. Ces poursuites violent de manière flagrante la liberté de conscience et de religion. De plus, l’acte d’accusation a été préparé sur la base de l’opinion d’un « expert » censément neutre : un professeur d’une université catholique… L’Église est ici à la fois juge et partie.
Cette répression systématique de toute critique et dissidence traduit la grande nervosité de l’Église catholique polonaise et de ses soutiens au sein du gouvernement. À la suite des nombreuses révélations d’abus sexuels commis sur des mineurs par des prêtres, l’Église fait face à une baisse continue du nombre de fidèles et à des critiques de plus en plus ouvertes dans la population. Ce raidissement traduit une perte d’influence historique de l’Église en Pologne, mais dans l’immédiat, il cause des violations de droits fondamentaux des personnes qui en critiquent l’emprise.
(1) Article 196 du Code pénal : « Qui offense les sentiments religieux d’autres personnes, en insultant publiquement un objet d’adoration religieuse ou un endroit consacré à la célébration publique de rituels religieux, est passible d’une amende ou d’une peine privative de liberté allant jusqu’à deux ans. »