Espace de libertés – Novembre 2015

« Crise » des réfugiés: de qui parle-t-on?


Dossier
Depuis le début de l’année 2015, des milliers de personnes ayant fui leur pays tentent de rejoindre l’Europe pour y chercher une protection internationale. Il s’agit en grande partie de Syriens, mais également de Kosovars, d’Afghans, d’Albanais ou d’Irakiens (1). Cette « crise » fait parler d’elle, notamment dans les médias, mais il n’est pas toujours simple de s’y retrouver.

Quelle est la différence entre un migrant, un réfugié, un réfugié reconnu, un demandeur d’asile? Quelle place ont ces personnes dans l’ensemble des flux migratoires vers l’Europe et vers la Belgique? Sur des sujets sociétaux aussi brûlants, il est important de bien comprendre de qui et de quoi on parle. Alimenter le débat migratoire de chiffres fiables et mis à la portée de tous est une des missions de Myria, le Centre fédéral Migration.

De quoi et de qui parle-t-on?

C’est dans la convention de Genève –signée en 1951 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale– que sont définis, au départ, le terme de réfugié et les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier de ce statut de protection internationale. L’article 1er de la convention définit comme réfugié toute personne qui « craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et qui « se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Les critères de persécution sont donc plus larges que les persécutions liées à des situations de violence ou de guerre. Ceux-ci sont également interprétés de manière différente par les pays qui ont signé la convention de Genève. L’orientation sexuelle ou les craintes de mutilations génitales peuvent, par exemple, être considérées dans certains pays comme des critères de persécution.

C’est dans la convention de qu’est dé ni, au départ, ce qu’est un réfugié.

Pour les personnes qui, dans des contextes de violence, de guerre ou de violation de droits humains, ne quittent pas leur propre pays, mais qui s’installent dans une autre région, on parle de déplacés internes.

En Belgique, comme dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, c’est par le biais d’une demande d’asile (aussi appelée une demande de protection internationale) qu’un étranger peut se voir attribuer le statut de réfugié. Si, sur la base de son récit individuel, il répond aux critères de reconnaissance, il sera considéré comme réfugié reconnu et se verra attribuer un droit de séjour illimité en Belgique. Depuis 2006, si une personne qui introduit une demande d’asile ne satisfait pas aux conditions pour obtenir le statut de réfugié, mais qu’elle court un risque réel en cas de retour dans son pays (peine de mort, traitement inhumain ou dégradant, risque pour sa vie en cas de violence aveugle lors de conflits armés), elle peut se voir attribuer une autre forme de protection internationale: la protection subsidiaire. Il s’agit d’une protection moins étendue qui donne accès à un droit de séjour limité.

Dès l’introduction de sa demande d’asile et jusqu’à la décision d’attribution ou non d’un des deux statuts de protection internationale, la personne sera considérée comme demandeur d’asile. Si au terme de la procédure d’asile, aucun des deux statuts ne lui est attribué, elle sera considérée comme un demandeur d’asile débouté.

Fin 2014, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estimait à 59,5 millions le nombre de personnes déplacées par la guerre dans le monde. Ce chiffre englobe les déplacés internes (38 millions), le nombre de réfugiés (19,5 millions) et les demandeurs d’asile (1,8 million) (2).

Quelques chiffres clés (3):

  • Entre 2010 et 2014, le nombre annuel de demandeurs d’asile au sein de l’UE a été multiplié par 2,4 (passant de 260.800 à 626.700 demandeurs d’asile). En Belgique, on observe entre ces deux dates, paradoxalement, une diminution de 15% du nombre de demandeurs d’asile (passant de 26.560 à 22.855) (4).
  • Au cours de ces derniers mois (entre janvier et août 2015), la Belgique a vu son nombre mensuel de demandeurs d’asile tripler: 1715 demandeurs d’asile ont été enregistrés au cours du mois de janvier, contre 5585 au cours du mois d’août 2015 (5).
  • En Belgique, le taux de reconnaissance du statut de réfugié est en hausse depuis peu: alors que ce taux oscillait entre 15% et 25% de 2008 à 2013, il est monté à 37% en 2014 et à 49,5% en moyenne pour les huit premiers mois de 2015. L’octroi de la protection subsidiaire atteint quant à lui 10% en 2014, comme pour la période entre janvier et août 2015, alors qu’il variait entre 4% et 7% de 2008 à 2012. L’année 2013 présentait par contre des valeurs plus élevées (12%) (6).

L’asile: un canal légal d’immigration vers la Belgique?

Le système d’asile en Belgique, tout comme dans l’ensemble des pays de l’UE, prévoit qu’une demande d’asile doit être introduite auprès des autorités belges (en Belgique). La personne en recherche de protection internationale doit donc en pratique arriver sur le territoire pour pouvoir y déposer une demande d’asile. Les voies légales d’immigration étant soumises à des conditions très strictes, les étrangers qui fuient leur pays sont, pour la plupart, contraints d’arriver de manière irrégulière en Belgique pour pouvoir y faire valoir leur droit à une protection internationale.

Même si son trajet migratoire l’a amené à traverser certaines frontières de façon clandestine, le séjour du demandeur d’asile n’est pas irrégulier.

Une fois sa demande d’asile introduite auprès de l’Office des étrangers, le demandeur d’asile est, pour la durée de la procédure, en séjour légal et peut bénéficier d’une aide matérielle (structure d’accueil, accompagnement social et juridique…). En conséquence, même si son trajet migratoire l’a amené à traverser certaines frontières de façon clandestine, le séjour du demandeur d’asile n’est pas irrégulier. Pourtant, dans les statistiques belges, les demandeurs d’asile ne sont pas inclus dans les chiffres sur les immigrations légales. Ce n’est que s’ils obtiennent un statut de protection internationale, et par conséquent un droit de séjour, qu’ils seront inclus dans les statistiques officielles d’immigration (7).

Le mythe de l’asile comme premier motif d’immigration

Si les flux d’asile sont souvent mis en évidence comme une facette incontournable des migrations en Belgique, les chiffres indiquent pourtant que les demandeurs d’asile ne représentent qu’une faible proportion des migrants qui arrivent chaque année dans notre pays. En 2014, en Belgique, on enregistrait 128.465 immigrations légales d’étrangers et 14.130 demandeurs d’asile, soit un rapport d’un demandeur d’asile pour dix immigrations légales environ.

Les ressortissants des pays tiers qui entrent légalement sur le territoire belge doivent déclarer leur arrivée auprès de leur commune de résidence et se voient délivrer un titre de séjour sur la base du type de visa ou du droit au séjour dont ils disposent. Cela dit, les raisons qui poussent les individus à migrer sont souvent multiples et ne correspondent pas toujours aux catégories administratives sur la base desquelles le titre de séjour est délivré. Les étrangers disposant d’un titre de séjour pour des raisons familiales par exemple sont aussi, bien souvent, des travailleurs, des étudiants ou des membres de familles de personnes qui ont obtenu une protection internationale. Il faut donc éviter de cloisonner les individus derrière des catégories administratives néanmoins utiles pour comprendre la réalité.

Les chiffres sur les premiers titres de séjour sont donc à appréhender avec nuance, mais permettent cependant d’affirmer que l’asile est loin de représenter le premier motif d’immigration en Belgique, mais également dans l’ensemble des pays européens. En 2013, dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, 2.357.600 premiers titres de séjour ont été délivrés à des ressortissants de pays tiers, dont 29% pour des raisons familiales, 23% pour des raisons liées à des activités rémunérées, 20% pour des raisons liées à l’éducation, et seulement 4% pour des personnes bénéficiant du statut de réfugié ou de protection subsidiaire. En Belgique, 42.460 premiers titres de séjour pour les ressortissants des pays tiers ont été enregistrés en 2013. Le premier motif, loin devant les autres, est le regroupement familial (52%). Viennent ensuite les raisons liées à l’éducation (15%) et les raisons liées à une activité rémunérée (10%). Le statut de réfugié ou de protection subsidiaire concerne 9% des premiers titres (8).

L’arrivée en Europe, depuis quelques mois, de nombreux migrants à la recherche de protection internationale porte la question migratoire au cœur du débat public et politique. Face aux dé s qu’il pose et aux questions de société qu’il soulève, ce débat doit être mené de manière sereine, globale et circonstanciée. Rappelons que cet enjeu est mondial. Dans le contexte actuel de crise humanitaire mondiale, ce sont les pays en développement qui accueillent la majorité des réfugiés dans le monde, près de 86% d’entre eux en 2014 contre 8% pour l’ensemble des pays de l’UE.

 


(1) Il s’agit des cinq nationalités les plus importantes en termes de demandes d’asile au sein de l’UE entre janvier et juillet 2015 (Eurostat).

(2) UNHCR, 2014.

(3) Pour davantage de chiffres sur ce thème, voir Myriatics #1, « Crise de l’asile de 2015: des chiffres et des faits », octobre 2015.

(4) Eurostat.

(5Ibidem.

(6) Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides.

(7) Entre temps, ils sont enregistrés dans un registre à part: le Registre d’attente.

(8) Eurostat. Les données 2014 n’étaient pas encore disponibles au moment de la rédaction de cet article. Les pourcentages restants concernent les raisons humanitaires et d’autres raisons non spécifiées dans la base de données.