Espace de libertés – Novembre 2015

Migration et croissance démographique en Belgique


Dossier
Étude des caractéristiques des populations et de leurs dynamiques, la démographie se penche depuis toujours sur les flux migratoires. Actuellement, l’immigration internationale est le principal moteur de la croissance de la population belge. Et selon la prospective démographique, elle devrait le rester.

Depuis 2008, le Bureau fédéral du plan publie annuellement, en collaboration avec la Direction générale Statistique, des perspectives de population à l’horizon 2060. Les plus récentes ont été publiées en mars 2015 (1). Pour réaliser des perspectives de population, des hypothèses sur les évolutions futures des quatre composantes de la croissance de la population, à savoir la migration internationale, la migration interne, la fécondité et la mortalité, doivent être définies.

Aperçu historique

L’accroissement annuel de la population (voir graphique) observé durant les années 2000 est particulièrement important –on parle souvent du boom démographique des années 2000 (+ 687.852 résidents belges entre 2000 et 2010). Son caractère exceptionnel doit cependant être relativisé dans une perspective historique (par exemple, + 593.543 résidents belges entre 1955 et 1965).

Le phénomène nouveau des années 2000 doit davantage être analysé au niveau des composantes de la croissance. La croissance de la population au niveau d’un pays se résume par deux éléments: le solde naturel (les naissances moins les décès) et le solde migratoire externe (les immigrations internationales moins les émigrations internationales). Jusqu’à la fin des années 80, la croissance de la population s’expliquait surtout par le solde naturel qui dominait, presque toujours et souvent largement, le solde migratoire externe. Durant les années 90, les contributions du solde naturel et du solde migratoire externe à la croissance de la population s’équilibrent. Dès le début des années 2000, le solde migratoire atteint des niveaux beaucoup plus élevés que le solde naturel. Le solde migratoire explique alors 70% de la croissance démographique du royaume. Le solde migratoire des Belges étant relativement constant, et négatif (à savoir plus de Belges qui quittent le pays que de Belges qui reviennent), la croissance de la population au niveau du royaume depuis le début des années 2000 s’explique en particulier par la croissance du solde migratoire externe des individus de nationalité étrangère (2).

Migration externe des étrangers: hypothèses de projection

Les difficultés auxquelles se heurtent les démographes lors de la préparation du volet « migrations internationales » de leurs projections de population touchent tant aux choix méthodologiques qu’à la fixation des hypothèses elles-mêmes. Ces difficultés tiennent notamment à la complexité des déterminants des migrations pour lesquels de nombreuses théories ont été développées, à la difficulté de les quantifier et d’en estimer l’impact, ou encore à l’absence de projections fiables pour certains de ces déterminants. Ceux- ci sont de nature multiple; citons notamment la situation économique des pays, les liens (géographiques, linguistiques, historiques) entre eux, les évolutions démographiques, les politiques et réglementations.

Pour appréhender au mieux les différences au niveau des motifs de migration selon la nationalité des individus, les hypothèses relatives à l’évolution future de l’immigration internationale sont spécifiées pour trois groupes de pays distincts: les « anciens » États membres de l’Union européenne (UE15), les « nouveaux » États membres de l’Union européenne depuis 2004 (UE13) et les pays tiers (ou hors de l’UE).

La projection de l’immigration en provenance des pays de l’UE15 se fonde sur une poursuite des tendances actuelles, à savoir un attrait pour la Belgique suite à la présence des institutions européennes et internationale sur le territoire, à une logique de proximité ou encore à un marché du logement attractif pour les pays frontaliers. Pour les pays de l’UE15 particulièrement touchés par la crise économique et financière, l’immigration à court terme est mise en relation avec l’évolution attendue à court terme du taux de chômage. À long terme, les organisations internationales tablent en effet sur une sortie progressive de la crise.

L’évolution future de l’immigration en provenance des pays de l’UE15 intègre l’idée que la motivation principale de cette immigration est liée à l’attractivité économique relative de la Belgique, dès lors que le processus d’élargissement de l’UE a progressivement entraîné la libre circulation des personnes et des travailleurs.

En ce qui concerne les pays tiers, on ne peut certainement pas négliger le fait que les migrants en provenance de ces pays viennent chercher en partie un meilleur « bien-être », mais ce concept est bien plus large que celui de l’attractivité économique relative. De plus, la grande majorité de l’immigration en provenance de ces pays tiers a lieu dans le cadre d’un regroupement familial ou d’une demande d’octroi du statut de réfugié. L’immigration liée à ces deux motifs de migration dépend notamment de la situation (politique, sanitaire, économique) dans les pays d’origine et des conditions (voire des procédures) d’accès à ces statuts définies par la Belgique.

Dans ce contexte-là, déterminer une trajectoire à long terme de l’immigration issue des pays tiers sur la base d’une tendance passée en y intégrant éventuellement des déterminants économiques ne semble pas évident, voire pertinent. L’alternative retenue consiste à tenir compte de la croissance attendue de la population mondiale –hors UE– et d’y appliquer un taux d’émigration vers la Belgique. Ce taux est défini par une moyenne historique permettant de capter l’impact combiné des différents éléments « imprévisibles » qui ont affecté par le passé l’immigration en provenance des pays tiers (contexte géopolitique qui affecte les demandes d’asile, politiques migratoires qui affectent le regroupement familial…) et qui devraient avoir un impact dans le futur.

Projection de population (2014- 2060) pour la Belgique

En Belgique, sur la base des hypothèses relatives à la fécondité, à la mortalité et à la migration, la population augmenterait de 17 % à l’horizon 2060 par rapport à 2014 (voir graphique). L’immigration internationale est le principal facteur de la croissance future de la population au niveau du royaume, et ce à travers deux effets. Tout d’abord, le solde migratoire externe devrait rester sur l’ensemble de la période de projection à un niveau relativement soutenu (entre 25.000 et 30.000 individus par an à long terme). Ensuite, l’immigration internationale a un impact sur l’évolution du nombre de naissances. La plupart des migrants qui arrivent sur le territoire sont en effet dans les tranches d’âges où l’on désire avoir des enfants. Cet effet indirect domine l’évolution à la hausse du nombre de décès due au vieillissement de la population. Le solde naturel reste par conséquent positif sur l’ensemble de la période, du fait de l’impact de l’immigration internationale sur le nombre de naissances. La croissance annuelle attendue de la population à long terme devrait tourner autour de 40 000 individus par an.

L’immigration internationale est le principal facteur de la croissance future de la population au niveau du royaume.

Comme n’importe quel autre exercice de projection, mais sans doute davantage pour les migrations internationales, il semble nécessaire d’insister sur le fait que les projections se fondent sur un ensemble d’hypothèses posées sur la base des connaissances actuelles, dans des contextes institutionnel et mondial donnés. En cas de modification importante des contextes, la réalité pourrait s’écarter des hypothèses prises. Projeter l’immigration internationale est un exercice difficile, soumis à des incertitudes importantes.

Dans ce contexte, il semble important de préciser que l’afflux massif actuel de demandeurs d’asile en Belgique n’a pas été intégré dans ces perspectives démographiques, qui ont été préparées en janvier 2015. Il n’était en effet pas évident de prévoir cette crise migratoire, et en tout cas impossible d’en évaluer l’ampleur. Dans les prochaines éditions des perspectives de population, une hypothèse spécifique devrait être posée en ce qui concerne l’impact de cette arrivée massive de demandeurs d’asile. Cette hypothèse n’apportera pas nécessairement de modifications majeures aux tendances démographiques à long terme.

 


(1Perspectives démographiques 2014-2060. Population, ménages et quotients de mortalité prospectifs, BFP-DGS, mars 2015.

(2) Il s’agit de la nationalité à l’arrivée sur le territoire, et non de la nationalité à la naissance.