Espace de libertés – Novembre 2015

« Madrasa », moi aussi je veux y aller!


École
Au cœur de l’été, Infor Jeunes Laeken est contacté par deux membres du RED/Laboratoire pédagogique qui mènent au parc de la Rosée, à Anderlecht, une expérience unique. En effet, Juliette et Marie, professeures de formation, ont mis d’initiative leurs compétences au service des enfants. Elles ont ouvert dans le parc une école éphémère, offrant ainsi à de nombreux enfants syriens l’opportunité, parfois pour la première fois, d’aller à l’école.

En ce mois d’août 2015 se pose la question de savoir de quoi sera fait l’avenir de ces enfants. Ont-ils trouvé une place à l’école? Sont-ils inscrits? C’est afin de les aider dans leurs démarches qu’Infor Jeunes Laeken se rend au parc de la Rosée pour rencontrer parents et enfants. Le 14 août, le soleil est au rendez- vous, la foire du Midi bat son plein, ce quartier de Cureghem tant décrié nous offre un instantané plus doux, plus sympathique que prévu. Malgré les difficultés et les vicissitudes de la vie, c’est débordant d’enthousiasme et de curiosité que les enfants nous accueillent. Ils suivent presque avec ferveur les ateliers de français qui leur sont proposés. Certes d’aucuns ont des problèmes de concentration, les crayons et stylos leur résistent, le matériel scolaire souffre, mais ils sont si fiers de leurs dessins, de leurs premiers mots en français. Qu’ils aient 5, 6, 10 ou 15 ans, ces jeunes sont face à un fameux défi: s’adapter à leur nouvelle vie et panser les plaies de la guerre. Saurons-nous nous être à hauteur des défis que présente la scolarisation de ces jeunes?

Un manque structurel de places

En cette matière, tout reste à faire. Une première question s’impose: comment est-il possible que ces enfants soient restés déscolarisés pendant de nombreux mois? En effet, en une après-midi, nous dressons une liste de plus de quatre-vingts enfants sans école. Alors que nombre de ces familles ont obtenu des papiers et bénéficient du CPAS, que s’est-il donc passé? Il est clair qu’il ne suffit pas de donner aux parents une liste d’écoles pour que ceux-ci parviennent à inscrire leurs enfants. Dans le « croissant pauvre » (1), on déplore un manque structurel de places. Imaginez donc à quel point ce problème devient aigu lorsqu’il s’agit d’enfant de réfugiés. Leurs besoins sont spécifiques, ils doivent apprendre le français, voire être alphabétisé, et bénéficier d’un suivi adapté aux traumatismes vécus. Trouver une place dans une classe DASPA (2) relève de la gageure. Dans ce contexte tendu, l’accueil lors de l’inscription laisse trop souvent à désirer. Beaucoup de parents qui ne maîtrisent ni la langue ni les codes sont éconduits sans ménagement. Pendant trois semaines, nous allons sans relâche accompagner enfants et parents afin de leur obtenir leur inscription. Nous sommes toutefois inquiets: si les premiers contacts ont été si difficiles, qu’en sera-t-il de la scolarisation des jeunes? Se profile à l’horizon un risque bien réel de décrochage scolaire.

Accompagner l’écolier et sa famille

C’est pourquoi il nous paraît important de maintenir le contact avec les familles afin de faire face rapidement aux difficultés, qu’il s’agisse de problèmes administratifs, de soucis pédagogiques ou de questions relatives à leur parcours en tant que réfugiés. Nous avons déjà pu faciliter le dialogue entre la famille de Mohamed (3), 11 ans, et son école à Saint-Gilles. En effet, l’institutrice s’inquiétait du manque de dextérité du garçon dans le maniement du matériel scolaire. Elle nous expliquait également que Mohamed est extrêmement serviable et affectueux, mais qu’il peut soudain se montrer agressif. Elle se demandait si une réorientation vers le spécialisé ne serait pas adéquate. Lors d’un premier entretien, les parents ont pu raconter leur histoire. Parti sur les chemins de la migration depuis quatre ans, leur fils n’a pu être scolarisé. De plus, celui-ci a frôlé la mort dans une fusillade; il a d’ailleurs été blessé par balle et a dû enjamber des corps afin de se sauver in extremis. Très touchée par ce récit, l’institutrice a mieux compris la réalité de Mohamed et n’évoque plus sa réorientation.

Gageons que d’autres professeurs, d’autres écoles auront besoin d’appréhender la réalité de ces réfugiés afin de répondre à leurs besoins. Pour ce faire, un suivi personnalisé est nécessaire. Infor Jeunes Laeken va maintenir, au parc, des ateliers de français, des animations pour les enfants et un contact avec leurs parents. Autres projets: mettre sur pieds un réseau de parrainage et réaliser un documentaire qui permettra de suivre pas à pas le quotidien de ces familles durant une année. De quoi relever le défi du vivre ensemble.

 


Madrasa: école en arabe

(1) Nord-ouest de Bruxelles

(2) Dispositif d’accueil et de scolarisation des primo-arrivants, anciennement appelé « classe passerelle ».

(3) Prénom d’emprunt.