Espace de libertés – Novembre 2015

Plaidoyer pour un nouveau féminisme


Entretien

L’entretien d’Achille Verne avec Assita Kanko

Dans son livre Parce que tu es une fille (1), Assita Kanko avait traité de l’excision avec une extrême sensibilité. Aujourd’hui, elle poursuit son exploration de la condition féminine dans un ouvrage intitulé La deuxième moitié. Plaidoyer pour un nouveau féminisme. Un titre qui renvoie à Simone de Beauvoir et au combat de femmes éprises de liberté.

Espace de Libertés: Pourquoi ce nouveau plaidoyer pour le féminisme?

Assita Kanko: Aujourd’hui encore, les femmes doivent affronter de nombreux problèmes. Malheureusement, certains pensent que ceux-ci n’existent plus au motif que l’égalité pour tous a été atteinte. C’est faux. Le combat n’est pas terminé.

Le titre de votre livre La deuxième moitié renvoie au Deuxième sexe de Simone de Beauvoir qui traitait de l’infériorisation des femmes de l’après-guerre. En quoi votre livre se singularise-t-il par rapport aux luttes féministes antérieures?

L’ombre de Beauvoir a inspiré le travail d’Assita Kanko. © DRJ’ai beaucoup d’admiration pour Simone de Beauvoir qui a forgé ma façon de penser l’égalité homme/femme. Mon ouvrage consiste en une mise à jour du travail de celles qui ont lutté pour que les femmes aient autant de droits que les hommes. C’est aussi une mise en garde contre l’illusion que tout va bien aujourd’hui. C’est enfin un travail d’exploration de notre temps. Le deuxième sexe a été écrit il y a plus de 60 ans. La loi Weil a été promulguée avant ma naissance au Burkina Faso, où l’avortement est toujours interdit et peut vous conduire en prison. Aujourd’hui, en 2015, à travers le monde, le fait de disposer librement de son corps peut toujours être considéré comme un crime. Mon livre est un rappel de cette réalité. Nous ne pouvons plus nous contenter de nous indigner. Il faut des actions et des résultats.

Vous parlez d’ »autodétermination ». Comment comprendre ce mot?

Ce droit à l’autodétermination sera acquis lorsque les femmes auront les mêmes droits que les hommes. Contrairement à ceux-ci, elles se voient imposer un conjoint et des relations sexuelles dont elles ne veulent pas sans pouvoir très souvent en appeler à la Justice. Cette liberté consiste pour moi en l’application de l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Si les hommes sont égaux en droit, les femmes aussi. Elles doivent être considérées comme capables de décider de leur vie, indépendamment de leur sexe, de leur origine et de leur couleur.

Quels sont les facteurs qui barrent aujourd’hui l’émancipation de la femme à travers le monde? La politique? La religion? La culture? La bêtise?

C’est un ensemble de choses, mais à la base on trouve le non-partage des responsabilités domestiques entre les hommes et les femmes. Si au lieu d’être envoyées à l’école, les fillettes sont considérées comme des petites bonnes au service de la famille et des amis, si, devenues adultes, elles sont réduites au rang de machines à procréer, elles seront dominées toute leur vie. C’est comme si rien dans l’existence ne pouvait leur apporter de la joie et du plaisir. Des femmes naissent encore aujourd’hui pour servir des hommes et cela n’est pas normal. Cette situation s’accompagne trop souvent d’une certaine impunité. Face au viol, au mariage forcé, aux mutilations génitales, etc., la Justice se montre incapable d’accompagner utilement les victimes.

Chez nous aussi, vous le rappelez, des femmes sont prisonnières de certains stéréotypes et d’une certaine condition. Où sont les responsabilités?

Le problème, c’est souvent le relativisme culturel. Il est faux de dire que certains comportements sont tolérables en fonction de l’origine ou des préférences religieuses de leur auteur. Les mêmes règles doivent être appliquées à tous. Il faut du courage politique, une innovation sur le plan de la Justice et de ses moyens, une mixité sociale aussi. Il faut réussir l’intégration dans nos sociétés en faisant en sorte que les gens puissent vivre ensemble. Sinon, les droits que certains s’octroient s’opposeront toujours aux droits de la femme et continueront à saper l’égalité entre les sexes, un fondement de notre société.

Le viol ou la maltraitance peuvent aussi trouver leur origine dans un manque fondamental de respect, dans la diffusion de stéréotypes machistes…

Je pense que les gens savent ce qu’est le respect. Malheureusement, certains savent aussi que l’impunité existe, qu’il n’y a pas grand risque à violer une femme, par exemple. Une femme peut difficilement prouver qu’elle a été victime de discrimination à l’embauche, qu’on lui a rétorqué « tu dis des bêtises parce que tu as tes règle », qu’on l’a bousculée dans la rue. L’accès à la Justice et son coût découragent beaucoup de femmes.

Vous n’êtes pas qu’essayiste, vous êtes aussi cadre dans une entreprise. Vous consacrez une large place dans votre livre au plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder à des responsabilités importantes.

C’est l’évidence: il faut des quotas dans les entreprises. Nous sommes en 2015 et pourtant, nous n’avons pas atteint les objectifs. Aujourd’hui, il faut faire du forcing, imposer des règles et des structures qui vont permettre de normaliser la situation. Ces quotas seront aussi bénéfiques pour les hommes dans le futur. J’ajoute qu’il faut partager le congé de maternité, comme les Suédois ont commencé à le faire. Si une telle disposition est institutionnalisée, elle mettra fin à l’arbitraire et permettra aux hommes de prendre leurs responsabilités, sans craindre d’être jugés. Pour eux, il n’est pas simple d’aller à l’encontre des usages dominants. Les femmes aussi doivent accepter que les hommes occupent cette autre place.

Que préconisez-vous pour que la participation des femmes à la vie politique aille croissant?

Les femmes voudraient participer davantage à la vie politique, mais elles sont confrontées à toute une série d’obstacles, même si les quotas sont une excellente chose. Il y a encore beaucoup à faire pour que l’ambition que sont en droit de nourrir les femmes ne soit pas perçue de manière négative. Pour aller vers un certain équilibre, il faut que tout le monde participe. Il faut envoyer les femmes dans les conseils communaux et les entreprises. Il faut que la population ait aussi envie de voter pour une femme.

Votre combat n’est pas qu’intellectuel, il est aussi personnel. Avec beaucoup de sensibilité, vous revenez sur l’excision que vous avez subie au Burkina Faso lorsque vous étiez enfant…

L’excision que j’ai subie est loin de constituer ma seule motivation. Elle fait partie de toute une série de choses qui m’ont fait comprendre qu’une femme paie chaque jour le fait d’être femme. Cela va du non-partage des tâches ménagères à la maternité forcée en passant par le plafond de verre. En Belgique, chez nous, il y a toujours 10% d’écart salarial entre les hommes et les femmes. Seulement 4% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation. Des femmes sont obligées de se faire reconstruire l’hymen au nom du prétendu honneur de leur famille, etc. Tout cela existe. Ce combat, je ne le mène pas seulement pour moi, mais pour toutes les femmes.

Vous écrivez que les femmes doivent frapper sur « la table avec leurs talons ». L’émancipation des femmes passe-t-elle aussi par une action, disons « musclée »?

C’est une boutade destinée à faire comprendre que nous devons aussi affirmer notre féminité. Même au sommet de la politique ou de l’entreprise, il n’y a aucune raison valable pour qu’une femme ne porte pas de hauts talons, pour qu’elle soit obligée de se déguiser en un quasi-homme, en un être hybride. Cette affirmation de la féminité, cette nécessité de l’imposer, j’ai choisi de les faire passer avec humour.

Dans votre monde idéal, quelle serait la place de l’homme?

À 50% dans la cuisine (rires). Sérieusement, les hommes et les femmes doivent apprendre à partager les responsabilités. Cela contribuera en retour à libérer l’homme qui est trop souvent sous pression, contraint à la performance. Je ne suis pas sûr que c’est vraiment ce qu’il veut. Globalement, notre société serait plus riche sur le plan humain et social. L’homme doit être aux côtés de la femme au moment de mener ce combat.

 


(1) Assita Kanko, Parce que tu es une fille. Historie d’une vie excisée, Waterloo, La Renaissance du livre, 2014, 94 p.