Espace de libertés – Novembre 2015

Charte de Palerme: un droit de résidence pour les réfugiés


Dossier
Leoluca Orlando, maire de Palerme, propose comme solution à la crise des migrants l’ouverture des frontières, l’abolition du permis de séjour et un droit de résidence comme citoyen. Pour le politique sicilien, l’Europe doit revenir à ses valeurs fondatrices comme le respect du droit à la dignité humaine. Rencontre avec un homme de gauche engagé et humaniste au Festival de la littérature des migrants.

Un festival de littérature de migrants! Une véritable aubaine pour discuter migration, culture et politique d’immigration à Palerme. Le maire est invité à l’inauguration et au dîner d’ouverture. La raison d’être de cette première édition du festival s’articule autour d’une idée simple: la nécessité d’accueillir dignement les migrants et ainsi leur permettre de mener une vie digne qui enrichira le pays d’accueil et ses habitants. Ici, c’est à travers la littérature qu’on véhicule l’idée. Un événement qui rassemble des intellectuels italiens, originaires d’ailleurs. Tous ont été migrants. L’Italie leur a donné une chance de s’intégrer, d’apprendre la langue, de suivre des études, de travailler, de vivre dignement, tout simplement. Les voilà: journalistes, écrivains, cinéastes, professeurs. Acteurs de la culture et ambassadeurs de l’Italie.

En début de soirée, après l’inauguration du festival, dans le Centre historique des archives de Palerme, les bénévoles s’organisent pour le dîner d’ouverture qui aura lieu à la Villa Niscemi, à l’extérieur de la ville. C’est là que la rencontre avec le maire a été prévue. Aldo, un jeune bénévole de l’organisation du festival, propose de m’y accompagner en voiture mais à une condition: avant de nous rendre à la villa, nous devrons passer récupérer des plats pour une partie des invités. Affare fatto! Nous voilà partis dans le quartier populaire de Palerme, à Ballaro, pour récupérer les plats du buffet de ce soir. C’est au Moltivolti qu’ils ont été cuisinés. Un resto-bar-espace culturel et de coworking. Tout est pensé et construit dans un esprit d’échange et de partage des cultures, même le buffet.

Nous arrivons à la villa et déposons les plats. Un concert sépharade tient lieu d’ouverture. Le public arrive au compte-gouttes et s’installe dans ce qui semble être une ancienne chapelle. Ce sont des intellectuels, des citoyens palermitains, toutes générations confondues qui remplissent la salle. Le concert a commencé et le maire arrive enfin, cigare en bouche. Avec son costard bleu marine, sa cravate rouge et son allure d’homme d’affaires charismatique, il paraît sortir tout droit d’un film de gangsters mafieux. Pourtant, la Mafia sicilienne, Leoluca Orlando en a fait son premier et principal combat dans sa carrière politique.

Leoluca et son combat contre la Mafia

C’est dans son bureau, à l’étage que Leoluca Orlando s’installe pour l’interview. L’homme n’est pas grand, ses cheveux poivre et sel lui donnent une allure d’homme d’expérience. On devine des yeux bleus verts et un visage fatigué. Mais il paraît déterminé, à faire pâlir ses adversaires politiques. Impossible de ne pas évoquer la Mafia quand vous discutez avec le maire. Il en fait son fer de lance politique durant ses campagnes et ça marche – puisqu’en 2012, il a été réélu pour la quatrième fois avec près de 74% des voix. « C’est un véritable système organisé. Ils sont partout à tous les niveaux de pouvoirs. Et à présent, ils s’emparent aussi de la crise des migrants que connaissent l’Europe et la Sicile en particulier. C’est un véritable business fructueux pour eux. Par bateau, comptez un million d’euros de recette pour la Mafia. Il faut absolument prendre le problème à bras le corps. »

La « charte de Palerme » propose une abolition du permis de séjour dans le cadre de la mobilité comme droit.

La Sicile n’est pas le lieu final de destination des réfugiés. La plupart ne font que passer, pour atteindre les pays du nord de l’Europe, bien que l’île compte 22% de réfugiés sur son territoire. Une situation qui a évolué dans la capitale sicilienne. Et le maire se dit prêt à mettre les moyens qu’il faudra pour accueillir dignement ces personnes. « J’ai réalisé l’ampleur du drame de ces gens lorsque j’ai personnellement rencontré ces personnes et entendu leur histoire. L’une d’entre elles, une jeune fille de 14 ans, avait écrit un poème, magnifique, mais qu’elle ne pouvait terminer, car il était pour sa mère qu’elle avait vu se faire tuer avant de fuir. Une autre femme, enceinte, avait tué une personne sur l’embarcation pour se sauver et sauver son bébé. Comment pouvons-nous fermer les portes de nos pays à ces gens dont la souffrance est sans appel? »

« De la migration comme souffrance, à la mobilité comme droit »

Face à l’inactivité des dirigeants européens, Leoluca Orlando prend les devants et crée la « charte de Palerme ». Ce texte propose une abolition du permis de séjour dans le cadre de la mobilité comme droit. Le texte part du principe que « personne ne choisit le lieu où il vient au monde; tous devraient se voir reconnaître le droit de choisir le lieu où vivre, vivre mieux et ne pas mourir ». Le maire développe les principes du texte: « L’Europe doit impérativement changer de mentalité si elle veut faire face à la crise migratoire et voir cet évènement historique non pas comme un danger ou une invasion, ce qui est totalement infondé, mais bien comme une chance et une opportunité. Elle doit repenser ses priorités et se rappeler ses valeurs fondatrices, c’est-à-dire le respect des droits humains. » Une campagne de sensibilisation qui circulera tout au long du festival a été lancée à Palerme sous le slogan « Je suis une personne ». L’humain est au cœur des débats dans la ville sicilienne. Une proposition d’ordre idéologique, utopique, illusoire et irréaliste, protesteraient certains. La question du financement, puis de la sécurité viendrait contre-argumenter telles de véritables armes destructrices de toute idée humaniste. « Finances » et « sécurité », deux termes qui agacent le maire sicilien! « L’histoire européenne, et plus largement du monde, ne s’est faite que d’immigrations. Laissons entrer ces personnes qui fuient la guerre, la misère et laissons-les avoir une vie digne. Ils n’en seront que reconnaissants et développeront culturellement et économiquement chaque État où ils se seront installés, dispersés. » Il insiste: « Nous avons besoin d’eux! » Pour le maire, la situation des migrants en Europe n’est clairement pas un problème économique, mais un problème de mentalités. « Accueillez ces gens dignement, ils feront un jour la fierté de “votre nation”; laissez-les à leur sort dans l’illégalité et ils n’auront d’autre choix que de survivre dans l’illégalité. » Tout est dit. Le texte a déjà été distribué au sein des partis européens de gauche afin que la voix du maire humaniste soit entendue.