Le Centre d’Action Laïque vient de publier un nouvel ouvrage dans sa collection « Outils de réflexion », sous le titre Familles, qui êtes-vous?. Un ouvrage collectif qui présente la grande diversité des familles cohabitant dans notre société.
Pourquoi aborder aujourd’hui la question de la pluralité des modèles familiaux? D’abord, par nécessité d’informer un public qui subit de plein front les assauts d’une sphère réactionnaire. Laquelle, au nom des traditions, entend promouvoir la famille nucléaire classique comme seul modèle acceptable. Ensuite, pour éviter que le Synode des évêques sur « Les défis pastoraux de la famille dans le contexte de l’évangélisation » qui s’est tenu à Rome du 5 au 25 octobre, et dont nous connaissions à l’avance la teneur, ne puisse à loisir répandre dans les médias une vision anachronique de la famille, détachée de l’époque dans laquelle nous vivons et jugeant avec condescendance les familles « dissidentes » –que l’Église invite à rejoindre son giron dans le contexte d’un chemin de pénitence.
Le regard que pose la laïcité sur la famille se fonde essentiellement sur la prise en compte des choix libres de chacun.
Pression morale
La laïcité, dans sa quête de l’émancipation de l’individu, plaide évidemment pour la liberté de chacun à choisir le type de famille qui lui convient. Ce n’est pas s’opposer aux religions que d’affirmer que ce qui relève du droit aux yeux de la loi civile l’emporte sur tout prescrit dogmatique. En aucune façon la laïcité ne saurait subordonner ce principe essentiel qu’est la liberté de chacun à poser les choix concernant sa propre vie à une doctrine liée à une croyance qui ne doit s’adresser qu’à ses adeptes. Hélas, certains clergés ont pris l’habitude de décider de ce qui est bon pour la société tout entière, à l’aune des règles morales qu’ils imposent à leurs ouailles. La pression morale qui en résulte pousse certaines familles ou candidats à la fondation d’une famille « différente » à faire profil bas, à agir comme des clandestins et à ressasser une marginalité qui ne devrait plus avoir cours depuis longtemps.
Pour le CAL, publier cet ouvrage sert donc aussi à rassurer tous ceux-là dans leur choix. Il importe de donner une voix à ceux que l’on n’entend pas. Il n’est pas question d’abandonner nos idéaux laïques aux promoteurs d’un nouvel ordre moral, quels qu’ils soient. Replaçant l’évolution de la « cellule de base de la société » dans un contexte historique, juridique et sociologique, avec notamment la mutation des structures familiales et l’évolution progressiste du droit familial, cet ouvrage dénonce les discriminations et inégalités qui ont cours au sein même des familles et dont les femmes restent les principales victimes.
Des auteurs de haut vol
En feuilletant Familles, qui êtes-vous?, on découvrira des contributions d’auteurs certes triés sur le volet, sans qu’ils soient nécessairement des militants laïques encartés ou simplement pratiquants. Par exemple, le texte sur les mutations familiales est dû à la plume de Delphine Chabbert, de la Ligue des familles. Une avocate très en vue sur les questions de famille, Nicole Gallus, fait le point sur la législation en cours. Côté politiques, nous sommes ravis d’avoir pu compter sur les contributions de Viviane Teitelbaum (MR, présidente du Lobby européen des femmes) qui plaide pour une sécurité sociale plus forte et plus juste grâce à l’individualisation des droits sociaux tandis qu’Olga Zrihen (PS) nourrit une réflexion sur le fait que la famille, quelle qu’elle soit, constitue le dernier rempart contre la précarité. On ne présente plus Jean-Jacques Amy, compagnon de route de feu Willy Peers, qui planche sur le contrôle des naissances et le droit d’avoir des enfants quand et si on veut. Familles, qui êtes-vous? règle une fois pour toutes le compte de la « théorie du genre », aussi célèbre qu’inexistante, au travers des textes de Françoise Claude et Sylvie Lausberg. Nous prenons de la hauteur avec la contribution de Nathalie Rubel, professeure de philosophie à Douai (France), qui se lance dans une ambitieuse critique du dogme familialiste. Françoise Goffinet, de l’Institut pour l’égalité des hommes et des femmes, nous entretient des familles d’accueil et Julie Papazoglou, du CAL, des questions d’adoption. Un chapitre important est consacré à l’ÉVRAS, sous les signatures de Katty Renard (ULB) et Pascal Graulus (ULB aussi), tous deux très engagés dans les centres de planning familial, sans oublier Sylvie Lausberg, du CAL. Enfin, Thierry Delaval, sociologue et ancien président d’Arc-en-ciel Wallonie, et Martine Gross, ingénieure en recherches au CNRS, abordent la délicate question des familles homoparentales.
Oui, il y a bien différentes sortes de familles qui, toutes, en revendiquent le nom. Avec raison et l’envie de le faire au grand jour, sans subir le poids du regard oblique de ceux pour qui la norme édictée par la tradition a valeur de modèle définitif et de caution morale.
Publier cet ouvrage est un devoir
Comme l’écrit Henri Bartholomeeusen dans la préface, « au nom de l’égalité de tous les citoyens et des droits individuels, au nom de la liberté de chacun à choisir comment il ou elle veut vivre, au nom du droit au bonheur ici et maintenant, le mouvement laïque se doit de faire valoir que personne n’a le monopole d’une définition de la famille ou du choix de vie des personnes. Le regard que pose la laïcité sur la famille se fonde essentiellement sur la prise en compte des choix libres de chacun, sur le droit à jouir de la vie et sur un projet de famille épanouissant pour tous les membres qui la composent. […] Publier cet ouvrage nous semble un devoir parce qu’il s’inscrit dans la logique d’une société dont nous entendons être acteurs. Dans sa construction d’une société juste et équitable, la laïcité s’érige en fer de lance de la défense des libertés fondamentales, de la santé publique et des principes démocratiques. Tel est le sens de cette publication qui, nous l’espérons, apporte sa pierre à l’édification d’une humanité autonome, responsable et animée par la liberté de conscience. »