Dans Our City, son troisième documentaire, la réalisatrice Maria Tarantino ne vise pas le Bruxelles de carte postale ou de brochure pour touristes pressés. Mais montre surtout que derrière les façades défraîchies et les quartiers en voie de « gentrification » à sens unique, il existe surtout une ville riche de sa diversité.
« Durant des années, Bruxelles semblait posséder suffisamment d’anticorps pour combattre la “gentrification”. Mais là, la ville se fait un peu bouffer », lance Maria Tarantino quand on lui demande ce qui a surtout motivé ses cinq ans de travail au service de son nouveau documentaire Our City. « On me dit souvent que le quartier des Halles Saint-Géry a subi une fabuleuse transformation. Car, d’un parking voici une quinzaine d’années, il est devenu un coin sympa, avec plein de cafés et de restos branchés. Peut-être! Mais ces endroits sont-ils réservés aux Bruxellois, dont le pouvoir d’achat n’est pas toujours énorme? C’est sans doute, entre autres, pour cette raison que j’ai voulu consacrer mon nouveau film à Bruxelles. »
Au-delà de la carte postale
Résultat: un kaléidoscope d’images et de récits qui se télescopent. Montrant aussi qu’à côté du Bruxelles qui sent la gaufre, et à côté de la cité éventrée par des chantiers et des saillies urbanistiques qui l’ont défigurée par endroits, c’est surtout du côté de l’humain qu’il fallait chercher le poumon de la ville. « En effet, je n’ai pas fait dans le typique. Je ne me suis pas laissée entraîner par l’aspect touristique. Ce n’était pas l’histoire qui me guidait. Je me suis plutôt laissée guider par les textures de la ville. Je voulais raconter quelque chose de vrai et de profond à propos de Bruxelles, ouvrir des portes, amener le regard d’un public derrière ces façades que l’on voit toujours de l’extérieur, continue Tarantino. Caméra à la main, j’ai commencé à explorer certaines idées, fruits de certaines réflexions. Il fallait trouver des situations qui pouvaient les incarner et, de cette manière, transformer ces réflexions en quelque chose de concret, de vivant. Par moments, on se croirait presque dans Alice au pays des merveilles avec des changements d’échelle de grandeurs. Ce n’est pas un film qui essaie de créer un effet miroir pour le spectateur. Mais qui tente plutôt d’ouvrir une fenêtre. Pour inviter à la découverte, à l’exploration. »
Toutefois, et loin de laisser déambuler son objectif au hasard de rencontres (comme celles, très touchantes, avec des enfants qui jouent et s’amusent d’un rien, ou avec un chauffeur de taxi iranien poète à ses heures perdues) qui tisseraient une « simple » galerie de portraits, Our City n’esquive pas non plus le »Bruxelles-poubelle » pour autant.
Une ville en chantiers
Tarantino continue: « La perpétuelle modernisation de Bruxelles est quelque chose de laid et de terrible. Qui se traduit le plus souvent par la construction de bureaux dont nous n’avons pas besoin. Il fallait aussi montrer cette dimension, cette exploitation du travail et le manque de reconnaissance. Il existe une misère humaine qui s’abrite dans des bâtiments qui sont en train d’être détruits et démolis sous les yeux de tout le monde. La mobilité grandissante des individus, à l’échelle européenne et mondiale, à cause des guerres, de la pauvreté ou pour d’autres raisons économiques amène une nécessité de redéfinir les lieux. Mais, en fait, le plus réjouissant est que l’ampleur des défis qui attendent Bruxelles s’avère d’autant plus énorme que nous sommes riches de notre multiplicité. Bref, ce ne sera pas simple de repenser une ville où chacun trouvera sa place, mais cela en vaut franchement la peine. »
Et c’est justement parce qu’il pose un regard personnel sur différentes réalités bruxelloises (l’administration, l’école, les bureaux, les institutions européennes, les sans-papiers) sans en effacer les points noirs ni se forcer à voir la vie unilatéralement en rose que ce lm demeure crédible quand il dresse des pistes optimistes pour l’avenir de la capitale de l’Europe. « Bruxelles est certes mal-aimée par un nombre croissant de ses habitants, mais elle renferme un potentiel gigantesque. Il faudra juste le comprendre, savoir s’en saisir et être capable de l’utiliser à bon escient », conclut Maria Tarantino sur un mode proche des ingrédients qui font la réussite de son Our City: un mélange de fascination et de lucidité… le tout à hauteur d’homme.