Espace de libertés – Novembre 2015

Pour la dépénalisation totale de l’avortement


Libres ensemble
Dans deux de nos précédentes éditions (n°428 et n°438), nous avons entamé le débat sur la sortie de l’IVG du Code pénal. Le mouvement laïque vient de publier une brochure qui fait le point sur la criminalisation de l’avortement, ses conséquences et la nécessité d’une dépénalisation totale.

Le CAL estime que le moment est venu d’embrayer sur la lancée de nos voisins, la France et le Luxembourg, même si certains jugent la situation sur le terrain satisfaisante alors que d’autres estiment que les attaques indirectes qui se font jour en Belgique sont peu propices à remettre l’ouvrage sur le métier. En effet, en France, malgré les manifestants anti-mariage gay qui sont aussi des anti-avortement, l’équipe au pouvoir mène depuis des mois une politique résolument volontariste; elle a totalement dépénalisé l’avortement, supprimé par exemple la notion d’état de détresse et mis en ligne un numéro vert gratuit pour aider concrètement les femmes confrontées à une grossesse non désirée et les renvoyer vers les centres. C’est également le cas d’un autre voisin, le Luxembourg qui, fin 2014, a voté la sortie de l’avortement du Code pénal. Dans ce contexte, l’attitude de la Belgique, au cœur des institutions européennes, revêt une dimension particulière et pourrait, selon l’évolution du dossier, délivrer un message clair et conforme à l’idéal démocratique et aux politiques d’égalité européens. D’autant que de récents événements témoignent de l’urgence de remobiliser, en Europe, les défenseurs des droits sexuels et reproductifs.

Sabotage et manifestations anti-IVG au sein du Parlement européen

Depuis la rentrée de septembre, le Parlement européen est le lieu d’attaques directes menées par des groupes anti-avortement; des attaques d’une ampleur et d’une agressivité qui tranchent avec la précédente politique de manœuvres dilatoires. Le 22 sep-tembre dernier, les extrémistes du mouvement pro-life mais aussi plusieurs eurodéputés PPE et ECR (1) ont fait interrompre une conférence sur les droits reproductifs et la contraception. Après 30 minutes de manifestation au sein du Parlement européen aux cris de « Vous tuez des bébés! Vous découpez les enfants! », les services de sécurité ont dû intervenir.

Les actions de déstabilisation orchestrées par les conservateurs radicaux se sont, de fait, multipliées et le combat au Parlement européen s’est clairement intensifié, comme en témoigne l’eurodéputée Marie Arena: « Nous assistons à une réelle escalade. Ce phénomène est très inquiétant, particulièrement quand des eurodéputés se mettent à saboter des travaux parlementaires ou qu’ils demandent l’interdiction des accréditations jusqu’ici accordées à des organisations telles que Le planning familial. La réception, le 15 octobre, à l’invitation des ultraconservateurs, de la sulfureuse Lila Rose, égérie américaine contre l’avortement, n’est qu’une étape supplémentaire dans ce combat où les droits des femmes sont en danger ».

Sortir de l’immobilisme

En Belgique, si la loi n’est pas remise en cause ouvertement par les formations politiques, les risques de revenir sur l’accès à l’avortement pour toutes les femmes sont devenus réels. Le CAL a déjà mis en garde contre l’attribution d’un statut au fœtus. Sur le terrain, depuis quelques années, les groupes de pression anti-IVG prennent de plus en plus de place dans l’espace public et dans les médias et sont mis désormais sur le même plan que les professionnels de la santé, alors qu’il s’agit de lobbys intégristes. L’exemple le plus frappant est celui de l’Institut dit européen de bioéthique (IEB) qui est toujours invité dans la presse alors qu’il n’a rien d’européen, et qu’il a été initié par un groupe de catholiques réactionnaires.

Contrer les entraves et les attaques

Ces éléments qui peuvent paraître disparates et sans grande importance ont pourtant des conséquences, car l’ambiance générale est au relativisme mou. On a vu par exemple, en juin 2012, le Conseil de la jeunesse, phagocyté par des anti-IVG, relayer des sous-entendus infondés quant au respect de la loi sur l’IVG par les médecins et les centres de planning en Belgique. Cette année, pour les 25 ans de la loi, les médias posaient candidement cette question: « L’avortement, un acquis pour toutes? ». Une question choquante quand on sait que, bien évidemment, l’IVG se fait toujours à la demande de la femme enceinte. Le pas suivant, franchi par certaines associations anti-IVG, est de prétendre que les professionnels de planning influencent les femmes pour les décider à avorter. Dans des instances aussi stratégiques que le Conseil consultatif de bioéthique, les mêmes discours sont tenus par d’éminents professeurs, comme Michel Dupuis qui, invité à s’exprimer à la RTBF, parlait carrément de « banalisation de l’avortement » et de « fœticide »! Ce qui, en droit, est une aberration, mais est utilisé à dessein pour inscrire à nouveau l’avortement dans la catégorie des crimes. Voilà pourquoi il nous faut réaffirmer que l’IVG n’est pas un crime.

En Europe, l’année dernière, la marche arrière de l’Espagne a été contrée grâce à une mobilisation sans précédent, mais le gouvernement a quand même reculé sur l’accès à l’IVG pour les mineures. En Italie, 80% des médecins refusent de pratiquer un avortement pour raison de conscience. En Hongrie, depuis la nouvelle constitution en 2012, le fœtus est protégé, ce qui empêche tout avortement, pourtant légalisé. Les attaques prennent différentes formes, jusqu’à donner, en Bavière par exemple, des primes d’assurance aux femmes qui attestent par écrit qu’elles n’avorteront jamais.

Alors oui, il nous faut aujourd’hui réaffirmer les droits des femmes –et des hommes– à planifier les grossesses, à décider de leur vie et du nombre de leurs enfants. Comme à la n des années 70, il est grand temps de se remobiliser et de dire non à ceux qui, petit à petit, grignotent nos acquis et s’insinuent dans les consciences pour faire reculer l’acceptation de l’IVG. Pour que l’avortement soit réellement reconnu comme un droit, le sortir du Code pénal est redevenu une nécessité.

 


(1) Parti populaire européen et European Conservatives and Reformists Group.