Espace de libertés – Novembre 2015

Coup de pholie

L’animal remonte vers le Nord, traverse les cercles de l’enfer qui ont perdu leurs gardiens. Il ferme les paupières de ceux qui agonisent. A-t-il migré de son propre chef, quittant les savanes africaines afin d’évaluer l’état du monde après la CANI, la « catastrophe au nom interdit »? Est-il dépêché par des chamans? 666 n’est pas tatoué sur son poitrail. Les milices nostalgiques de feu l’ordre mondial ne le traquent pas sous une symphonie de nanomissiles.

Dès qu’il pose pattes en territoire Europa, il prend la mesure du cataclysme. Villes dévastées, flux de migrants, exode des bêtes, nature en crise qui sort de ses gonds, saccageant les installations qui l’ont rendue malade. Des insurgés ayant rejoint des communautés autonomes partisanes de l’absolue sécession lui annoncent la bonne nouvelle. L’Ancien Monde n’est plus. Les sites de Monsanto ont été démantelés. Banquiers, technocrates du désastre vivent terrés dans des bunkers, existence lyophilisée.

L’animal voit des tombes s’ouvrir, des créatures revenues de la mort danser au-dessus des flammes. Il s’écarte des processions où des bipèdes en transe clament « mangeons-nous les uns les autres », il s’écarte du clan des frivoles, des séides de l’Apocalypse. Frottant sa crinière sur la dalle d’un mausolée, il bave sur l’inscription à moitié effacée « ci-gît le G8 ». D’enfants redevenus sauvages, il apprend que Wall Street a été engloutie, que des guerres civiles entre chemises noires au service des oligarques et combattants de la liberté font rage.

Chaque matin, il arc-en-cièle de joie, rastafari ganja. Ceux qui ne croient plus en rien aident les anciens dieux déchus, baudruches ventripotentes, à se donner la mort. La Terre ronronne de sentir les forêts de Grèce chlorophyller sirtaki, les îles déverser des coulées de lave sur les ex-seigneurs de la troïka. Quand l’animal dort, les esprits de ses frères assassinés bourdonnent dans le ciel. Écoutez les rugissements bleus de Cecil le lion qui décharge une pluie d’étoiles sur les chasseurs ayant survécu à la destruction. L’animal creuse un trou magique au fond duquel le langage génétiquement perturbé vient se noyer. La corne de l’Afrique l’appelle, il laisse l’Europe à ses fantômes.