Espace de libertés | Mai 2021 (n° 499)

Coup de pholie

Depuis le début de la crise du coronavirus, s’il est un constat qui n’a pu manquer de s’imposer face aux agitations improductives de nos dirigeants, c’est celui de l’état de ruine dans lequel se trouve la Belgique. Cette ruine, toutefois, n’est ni financière ni même sociale : il s’agit d’une ruine matérielle – d’une ruine infrastructurelle. Confrontés à une pandémie requérant de mettre en œuvre, d’un seul mouvement, un nombre considérable d’opérations exigeant un fonctionnement efficace de toute une chaîne d’acteurs, d’institutions, de systèmes informatiques, de protocoles logistiques, etc., nos gouvernants ont non seulement été incapables d’adopter la moindre mesure, mais les quelques-unes qui ont enfin été bricolées se sont vite transformées en ce que le langage de la rue appelle « bides ». Il est vrai que la relation de la Belgique à l’infrastructure a toujours été étrange et hasardeuse. Si le pays peut s’enorgueillir d’avoir accueilli la première ligne de train commerciale du continent, il n’a toutefois commencé à bénéficier d’un réseau routier digne de ce nom qu’une fois la décision prise, dans les années 1960, de le remodeler, avec ce qui restait d’argent vampirisé du Congo ou né des derniers feux de l’industrie sidérurgique, sur le patron américain : autoroutes, échangeurs, terminaux modernistes et pavillons suburbains organisés pour faciliter la circulation des voitures. Depuis les grands chantiers lancés par Jos De Saeger, cependant, plus rien n’a bougé : l’infrastructure de la Belgique n’a fait que se dégrader, minée par les conséquences du grand vice national – celui de l’oubli systématique de ce que dans le domaine de la construction on appelle « maintenance ». Cela signifie que tout ce qui, dans notre pays, réclame une forme de coordination pouvant s’appuyer sur une structure matérielle de diffusion et de répartition se trouve condamné dès le départ : si ce ne sont pas les décideurs qui ne parviennent pas à s’entendre, ce sont les logiciels, les routes, les plans égarés qui enterreront la mesure. Même une nation aussi dégradée du point de vue de l’infrastructure comme le sont les États-Unis n’a pas atteint un stade de rétro-développement aussi important que le nôtre. Au moment d’affronter enfin le virus que son prédécesseur n’avait pas voulu regarder en face, Joe Biden a mis son pays en état de siège – et a distribué cent millions de doses de vaccin en à peine 55 jours sur un territoire de 9 834 000 km2.
La Belgique en compte 30 689. Et on attend toujours.