Espace de libertés | Mai 2021 (n° 499)

Relations Églises-États : l’Europe des disparités


International

S’il est un domaine dans lequel une harmonisation des législations est illusoire entre pays européens, c’est bien celui qui régit les relations entre les États et les cultes. Bref panorama à partir de neuf exemples : Belgique, Pays-Bas, Danemark, Angleterre, Allemagne, Autriche, Italie, Espagne et Portugal.


Requête irrecevable. Ayant eu, en 2001, à se prononcer sur un litige portant sur l’égalité des cultes en Espagne, la Cour européenne des droits de l’homme a prestement évacué la question. Son constat : « Il n’existe pas, au niveau européen, un standard commun en matière de financement des Églises ou des cultes, ces questions étant étroitement liées à l’histoire et aux traditions de chaque pays. » La CEDH a insisté sur « la marge d’appréciation qu’il faut laisser à chaque État […] notamment pour ce qui est de l’établissement des délicats rapports entre l’État et les religions ».

«God save the Queen»

On le sait depuis bien avant le Brexit, la Grande-Bretagne aime se distinguer. Loin, très loin de la séparation entre l’Église et l’État, la reine est le gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre et même le « défenseur de la foi ». Elle nomme les archevêques, les évêques et les doyens qui prêtent devant elle serment d’allégeance. Pas moins de 26 évêques siègent à la Chambre des lords. Bien sûr, les normes démocratiques sont respectées puisque la liberté de religion est garantie même si les autres cultes ne bénéficient pas d’une reconnaissance analogue. Les institutions autres que l’Église d’Angleterre qui poursuivent un objet religieux peuvent obtenir le statut d’œuvre de bienfaisance, qui ouvre droit à un certain nombre d’avantages, notamment fiscaux. Des départements de théologie existent dans la plupart des universités, y compris pour les imams, et le financement des cultes est organisé autour des dons des fidèles.

On trouve au Danemark plusieurs analogies avec l’Angleterre. Le luthérianisme y est toujours religion d’État et la séparation n’existe pas. La liberté de croyance et de culte est garantie, charge aux citoyens de s’organiser en « communautés » et de disposer d’avantages liés. Les trois quarts des Danois sont encore enregistrés comme membres de l’Église nationale et doivent conséquemment s’acquitter de l’impôt d’église. Depuis quelques années, de nombreux débats ont porté sur le financement du culte musulman par des sources étrangères et un contrôle accru est exercé pour identifier ceux qui soutiendraient des « tendances religieuses antidémocratiques ».

Les «piliers» une spécialité belgo-néerlandaise

La tolérance religieuse a de longue date caractérisé les Pays-Bas, qui sont toutefois marqués par la prééminence du protestantisme réformé, même si le sud du pays est à dominante catholique. La figure du pasteur est, dans ce pays, aussi forte que fut celle de l’instituteur républicain dans la France de la fin du xixe siècle. Mais, précisément, à cette époque se met en place une organisation qui reconnaît des « piliers autonomes » dotés d’institutions sociales, ces entités étant les protestants, les catholiques, les libéraux et les socialistes. Le cadre constitutionnel, adapté en 1983, garantit l’égalité de toutes les croyances et la liberté de culte et de conviction, y compris l’athéisme. Les règles de financement des cultes ont également été refondées à cette date, mêlant soutien financier public et dons des fidèles. La lutte contre l’influence étrangère sur les cultes est là aussi un sujet de débat récurrent depuis plusieurs années.

03 October 2020, North Rhine-Westphalia, Cologne: Visitors visit the Central Mosque of the Turkish-Islamic Union of the Institute for Religion on the "Open Mosque Day". Due to the current circumstances, visitors must be prepared for hygiene measures and adherence to distance rules. Photo: Henning Kaiser/dpa (Photo by HENNING KAISER / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP)

En Allemagne, une « journée de la mosquée ouverte » a été instaurée en 1997. Ici, en région de Rhénamie-du-Nord-Westphalie, les profanes peuvent ainsi visiter un lieu de culte auquel ils n’ont habituellement pas accès. © Henning Kaiser/DPA/AFP


En Belgique, s’il faut le rappeler, le catholicisme a perdu le statut de religion d’État en 1831, mais la rémunération des ministres du Culte a été maintenue. La neutralité de l’État et l’égalité des droits et des libertés des citoyens sont garanties, tout comme la protection des minorités idéologiques et philosophiques. Plusieurs cultes ont fait l’objet de reconnaissances successives et, en 1993, une révision constitutionnelle a étendu le régime aux organisations laïques à vocation philosophique. Le traitement de leurs délégués relève de l’État. La « conviction de laïcité » est reconnue. Les établissements scolaires publics offrent le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues ou celui de la morale non confessionnelle. Il existe en Belgique une articulation assez complexe entre l’État fédéral et les régions. Chaque culte dispose d’un organisme représentatif interlocuteur de la puissance publique, la laïcité étant représentée par le Conseil central laïque. Des facultés de théologie assurent la formation des ministres du Culte, y compris désormais les imams. L’une des conséquences majeures de la reconnaissance d’un culte est l’avantage financier direct ou indirect qui en résulte, nationalement comme localement. En Belgique aussi, en particulier depuis les attentats à l’aéroport de Zaventem et dans le métro bruxellois à la station Maelbeek en 2016, la question du financement du culte musulman par des sources étrangères est un sujet de débat récurrent.

Des variations locales

En Allemagne, l’échelon régional – les Länder – occupe une place importante dans le dispositif de reconnaissance des cultes. La personnalité morale de droit public peut être accordée aux communautés religieuses, ce qui assure notamment la collecte d’impôt, avec de grandes variations selon les Länder. Ce n’est pas le cas pour le culte musulman, reconnu simplement sous forme d’associations organisées, environ 2 500 au niveau de l’Allemagne. Les facultés de théologie assurent largement la formation des ministres du Culte, y compris musulman.

En Autriche, beaucoup de ressemblances avec l’exemple allemand, même si un concordat régit les relations avec l’Église catholique. Les autres cultes font l’objet de conventions. L’impôt d’église pourvoit largement au financement des cultes. Mais l’Autriche se distingue avec sa loi régissant le culte musulman, adoptée en 1912 et révisée en 2015 après de longs débats. Elle prévoit des instances consultatives, la formation des ministres du Culte, mais aussi un contrôle rigoureux des financements en provenance de l’étranger.

Les concordats, toujours à la page

L’Europe du Sud connaît majoritairement des modèles concordataires. L’Italie accorde une place importante à la religion dans ses textes fondamentaux. L’égalité des confessions est garantie et la jurisprudence constitutionnelle reconnaît même un principe de laïcité depuis 1989, ce qui permet d’échapper aux cours de religion catholique dans les écoles publiques. Pour des raisons historiques et géographiques, la place de l’Église catholique est particulière en Italie, outre le fait que ses relations avec l’État sont définies par un concordat, signé en 1929 et révisé en 1984. Il s’agit bien entendu d’un traité international alors que les autres confessions sont reconnues dans le cadre de règles juridiques internes. Douze communautés religieuses ont conclu des accords avec l’État. Le système fiscal permet aux contribuables italiens de flécher une partie de leur impôt vers un programme civil ou vers l’un des cultes reconnus. C’est l’Église catholique qui en est très massivement destinataire. Le statut de l’islam n’est à ce jour pas encore stabilisé, et la question du financement étranger nourrit régulièrement le débat public.

À la sortie de la période dictatoriale, le Portugal a adopté en 1976 une constitution qui garantit la liberté de conscience, de religion et de culte comme le caractère privé des convictions personnelles. Le pays s’est doté en 2001 d’une loi dite de liberté religieuse qui codifie les liens entre la puissance publique et les cultes, caractérisée par une « coopération dans la séparation », complétée par le concordat de 2004 avec le Saint-Siège. Le rôle social et caritatif des cultes est reconnu et soutenu, et le système fiscal leur est très favorable. Le cas espagnol est très proche, avec une place particulière pour l’Église catholique, dont le rôle social est promu. La Constitution de 1978 pose le principe de séparation, mais le concordat de 1953 révisé en 1979 demeure. Le système fiscal favorise le catholicisme même si les confessions dites minoritaires disposent elles aussi d’avantages substantiels.

Entre les Églises d’État, les régimes de séparation plus ou moins prononcés, les modèles concordataires variables et les systèmes de financements disparates, il est difficile d’identifier un modèle européen dominant. Si les relations avec les cultes installés de longue date dans chaque pays font la plupart du temps l’objet de textes anciens, tous ou presque ont adapté leurs règles au développement du culte musulman.