Espace de libertés | Mai 2021 (n° 499)

Une nouvelle lueur pour la culture (Pierre Mertens)


Opinion

À toute chose malheur est bon. La culture a été mise à l’arrêt par la pandémie, mais para­doxalement, elle n’a jamais été aussi désirable, se réjouit l’auteur Pierre Mertens. Quant au livre papier, il a retrouvé un public.


« On assiste à une situation paradoxale. Au début du confinement, la culture a eu l’air complètement larguée, sous-estimée. Et puis, elle s’est rappelée à l’attention de tous en créant le besoin d’elle-même. Il y a là un double mouvement de délaissement et de déshéritement, mais qui a suscité par bonheur une réaction triomphante, assez guerrière de la part des gens de culture. Car ils voient que même ceux qui pensaient pouvoir se passer d’elle lui reviennent. La véritable performance serait d’en tirer parti. Le drame est qu’on est toujours plein de bonnes résolutions sur le moment même, mais lorsque revient la normale, elles sont vite oubliées. La culture devra faire des choix, établir des hiérarchies de valeurs. Elle devra se montrer plus exigeante à l’égard d’elle-même, ne pas fournir du prêt-à-porter à tout le monde. Et surtout ne pas parler que de la pandémie, comme si les guerres et les génocides n’existaient plus. Je m’inquiète également de la résurgence de l’antisémitisme, et de la misogynie qui prend avec cette crise le caractère aigu des violences conjugales.

Le goût nouveau pour la culture passe par le retour vers le livre papier dont je me réjouis. À l’occasion de la réédition de mes romans Les Bons Offices et Les Éblouissements, j’ai pu constater que le goût du papier n’est pas abandonné, qu’un public redécouvre son charme, qu’un livre papier est irremplaçable. J’espère qu’on ne l’oubliera plus.

Mon roman Les Éblouissements attire ainsi une nouvelle génération qui était trop jeune lors de sa sortie en 1987. Elle le lit avec au moins autant d’appétit que les premiers lecteurs. Elle y découvre le fait que personne n’est à l’abri d’une erreur fondamentale qui puisse dévoyer sa vie. Mais aussi que tout le monde peut accéder à une sorte de rédemption et ouvrir les yeux. Le mot “éblouissement” en français a deux sens : d’une part la beauté des choses, d’autre part l’aveuglement. C’est ce qui arrive à mon personnage dans un mouvement pendulaire aigu de la conscience qui le ramènera aux vraies valeurs. Il est de ceux qui vont démontrer qu’après Auschwitz, la culture est plus que jamais indispensable. » (av)